Parole et symbole
27/06/2014
C'est la qualité et la force du désir de s'ancrer dans le réel qui inscrit l'homme dans l'existence, et ce désir ne peut être que passionnel, et donc conflictuel. La conscience, une fois qu'elle se voit absorbée par ses passions, réalise tout ce qui la met à distance d'elle-même et la déchire. C'est alors qu'elle s'efforce de retrouver son unité, sa fusion avec elle-même, par la victoire sur ses passions ou par l'acceptation réfléchie de ce qui la conduira au bien. On rend les passions rationnelles en parlant d'elles, en leur faisant une place dans le discours, car l'homme est un être de désir, mais il est aussi un être de parole; entre l'ordre de l'Etre et l'ordre du Logos, l'ordre du Symbole sert de médiateur qui philtre. Le paradoxe heureux des passions, c'est qu'elles expriment une rationalité sous-jacente à nos aveuglements et à nos dérèglements, elles forment raison derrière le chaos des apparences. C'est par rapport à cette raison que les réponses diffèrent: ce qui nous semble sûr est qu'elle est d'ordre éthique, car autrement l'Histoire serait impossible. Le discours sur les passions en livre la raison, les abolissant et les préservant. Les passions racontées deviennent ainsi l'objet de l'esthétique et nous avons besoin d'y recourir car cela nous permet de durer, nous donne des raisons de vivre et restaure le courage.
"La littérature, dont les principes organisateurs sont le mythe-c'est-à-dire l'histoire ou le récit- et la métaphore -c'est-à-dire le langage figuré et les images -est un monde libéré, le monde du libre épanouissement de l'esprit" (Northrop Frye, A Double Vision). La littérature se réapproprie les principes structurants de la mythologie, définie comme modèle culturel exprimant la manière dont l'homme peut réformer la civilisation dans laquelle il vit. La dialectique mythologique se résume à une oscillation entre ce que l'homme vit dans son monde,
et ce qu'il rêve de vivre ailleurs, et c'est cette dialectique qui fonde les principaux modèles de l'imaginaire littéraire. Elle se manifeste dans les sociétés primitives à travers la mythologie qui offre un schéma de l'interprétation de l'univers, elle apparaît dans le monde moderne à travers la culture, qui construit, elle aussi, ses mythes modernes. Le métaphorique (et donc le symbole) se situe entre la rhétorique, comme art de persuader, et la poétique, comme art de dire la vérité par le moyen de la fiction, de la fable, du mythe. Pour les sémioticiens, le symbole est un signe parce qu'il fait connaître au moyen d'une forme visible une réalité invisible, il re-présente, parce qu'il présente une seconde fois ce qui est ressemblance formelle, mais il ne peut être interprété que sous l'effet d'une opération herméneutique (philosophique, théologique, psychologique). Le signe symbolique est aussi un signe institutionnel, dans le sens que c'est l'institution culturelle qui fait parler les symboles (en étant ainsi une véritable herméneutique). Les langues artificielles, scientifiques, fonctionnent selon la norme idéale: un Signifiant -un Référent, c'est-à-dire que la fonction signifiante s'accomplit tout entière dans la fonction désignative (c'est pourquoi le langage peut mentir), inversement, quand le langage veut faire prédominer le référent sémantique sur le référent objectif, c'est la poésie qui apparaît, le langage dans le langage.
Mais la parole ne peut prendre sens que dans le corps de l'Autre, qui l'accueille, et qui fonctionne comme contenant et comme signifiant. Aucune parole ne peut être dite s'il n'y a pas le creux d'un corps pour la recevoir et lui faire écho, parce que le corps propre se construit, prend conscience de lui-même non seulement dans le miroir où se reflète l'Autre, mais aussi par l'écho et la parole de l'Autre.
(extraits adaptés de ma Thèse La Rhétorique de la Passion dans le roman médiéval soutenue le 27 juin 1995, Département des langues classiques et modernes, Langue et littérature françaises, Université de Nice Sophia-Antipolis, mention Très honorable à la majorité).
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