Lecture
18/11/2014
Dans l'antiquité, et aussi dans les premiers siècles du christianisme, quand la philosophie se confond avec la théologie, la réflexion porte sur l'interprétation du problème du mal et du bien, et cela restera le point de mire de tout système philosophique, de toute morale, de toute religion. Les stoïciens parlent de deux sortes de maux, et de deux sortes de biens: ceux qui dépendent de nous, et pour lesquels il n'y a rien à demander, et ceux qui ne dépendent pas de nous et pour lesquels l'indifférence tranche tout, car ce qui n'existe pas, ne mord pas. Les choses qui ne dépendent pas de nous ne sont pas de vrais biens, il n'y a de vrai bien que la vertu, et elle dépend de nous. Plus tard, Grégoire le Grand parlera de "la vertu de rectitude", qu'il faut posséder "pour se maintenir dans l'innocence", et il parlera aussi de "la violence bouillante des passions", du mal qui "corrompt les moeurs et s'insinue dans les actes".
A notre époque, on parle d'émotions et de leurs effets sur le psychique et sur le corps, et pour ce qui est "d'actes", on parle de compétences émotionnelles nécessaires pour entretenir des relations, dans le domaine personnel ou professionnel. L'être humain reste le centre de tout problème, malgré qu'il soit arrivé à franchir les limites de sa planète.
J'aime lire les ouvrages de Goleman sur l'Intelligence émotionnelle sous cet angle: une continuité dans la réflexion et le travail depuis toujours sur l'homme, afin de mieux le connaître, de déchiffrer ses motivations, ses sentiments, ses comportements. Voici en résumé quelques pages de cette lecture.
Historiquement, la médecine moderne s'est donnée pour mission de traiter la maladie, mais elle en a négligé l'aspect affectif, le vécu de la maladie par les patients -écrit Goleman. Cela veut dire qu'elle ignore comment ceux-ci réagissent émotionnellement à leur problème médical, ou considère que leur réaction n'a aucun rapport avec ce problème. Il s'agit donc, "d'un modèle médical qui rejette entièrement l'idée que le mental puisse avoir une quelconque influence sur le corps." A l'autre extrémité, observe Goleman, "il existe une idéologie tout aussi stérile selon laquelle on peut se guérir soi-même des maladies, même les plus pernicieuses, tout simplement en adoptant un état d'esprit optimiste, en pensant de manière positive ou en se considérant comme responsable de sa maladie. Cette rhétorique a pour effet d'entretenir la confusion et l'erreur quant au degré d'influence du psychique sur la maladie, et peut-être, plus grave encore, d'inciter parfois les gens à se sentir coupables d'être malades, comme s'il s'agissait d'un signe de défaillance morale et spirituelle". Bien évidemment, la vérité est au milieu. Nos émotions et notre intelligence émotionnelle ont une influence sur la santé et la maladie. Les émotions toxiques sont une lourde menace pour la santé. L'agressivité chronique, les accès de colère, la dépression - constituent un facteur de risque cardiaque analogue au tabagisme ou au taux de cholestérol élevé. "Chez les personnes qui connaissent une anxiété chronique, de longues périodes de tristesse, qui sont constamment sous tension, agressives, ou font preuve d'une méfiance ou d'un cynisme excessif, le risque de maladie est deux fois plus important -notamment l'asthme, l'arthrite, les maux de tête, les ulcères de l'estomac et les maladies cardiaques".
Goleman dit que de toutes les émotions, l'anxiété, c'est-à-dire l'inquiétude causée par les pressions de la vie, est celle dont les rapports avec la maladie et la guérison ont été le mieux prouvés scientifiquement. Les travaux sur le lien entre le stress et la maladie ont montré un affaiblissement du système immunitaire (des études sur les maladies infectieuses comme le rhume, la grippe, l'herpès l'ont bien prouvé), mais aussi des fonctions du cerveau. Si le stress peut entraîner des troubles de l'appareil digestif, une tension permanente à long terme peut provoquer des lésions de l'hippocampe, et donc l'altération de la mémoire.
Le concept de stress envoie obligatoirement au concept de gestion et de maîtrise des émotions. Dans la deuxième partie consacrée aux compétences émotionnelles que nous pouvons développer, au chapitre sur "le self-control" dans les relations professionnelles, Goleman parle du pouvoir de l'intégrité. C'est un chapitre qui me plaît particulièrement, surtout que les critiques (non-américaines) reprochent au concept d'intelligence émotionnelle un certain côté amoral: quand on développe certaines compétences émotionnelles, pourquoi ferait-on le bien plutôt que le mal?
"L'intégrité est la condition même de la crédibilité. Les grands professionnels savent que la fiabilité dans le travail suppose une transparence optimale des principes et des valeurs, et une cohérence des actes avec ces valeurs. Ils reconnaissent franchement leurs propres erreurs, et n'hésitent pas, le cas échéant, à confronter les autres à leurs défaillances. Les être intègres sont francs, y compris quand l'aveu leur coûte, ce qui contribue à renforcer leur aura d'authenticité. En revanche, ceux qui n'admettent jamais une défaillance ou ont tendance à vanter leurs qualités, leur entreprise, ou un produit, sapent leur crédibilité. L'intégrité distingue les grands professionnels dans tous les types de métier."
Et Goleman dresse un schéma de la fiabilité et de la conscience professionnelle, les deux éléments indispensables au comportement intègre et responsable. La compétence de fiabilité signifie avoir une conduite irréprochable de point de vue éthique, construire des relations de confiance, car authentiques et fiables, reconnaître ses propres erreurs et être en désaccord avec les comportements jugés immoraux. La conscience professionnelle signifie tenir ses engagements et ses promesses, endosser la responsabilité des objectifs fixés, se montrer organisé et méticuleux dans son travail. Goleman nomme la conscience professionnelle une vertu discrète, et considère qu'elle est la clé du succès dans tous les domaines, et qu'elle "se révèle particulièrement importante aux postes les plus modestes de l'entreprise: le responsable du courrier qui n'égare jamais un paquet, la secrétaire qui prend et qui répercute toujours les messages scrupuleusement, le livreur qui est toujours à l'heure." La conscience professionnelle dépourvue d'empathie ou d'aptitude aux rapports humains peut être source de problèmes, parce que les personnes exigeantes vis-à-vis d'elles-mêmes ont tendance à juger trop sévèrement ceux qui n'ont pas un comportement aussi exemplaire. Et lorsque cette conscience tourne au conformisme inflexible, elle peut décourager la créativité. "Dans les métiers créatifs comme l'art ou la publicité, une certaine fantaisie, une certaine spontanéité sont indispensables" -dit Goleman, en précisant qu'il est nécessaire que l'équilibre soit assuré par une dose suffisante de conscience professionnelle, sans quoi les projets n'aboutiront pas.
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