La mémoire (2)
22/09/2015
(Photo Nice -Le square Durandy en 2014)
La mémoire continue à poser de nombreuses questions aux scientifiques, bien que de nombreuses réponses aient été apportées. Nous savons que la fabrication de souvenirs est le résultat d’une réaction biochimique qui a lieu particulièrement dans les neurones responsables de nos sens. Nous savons également que la mémoire à court terme (de travail) est localisée dans des aires spécifiques du cerveau, et qu’elle a en commun avec la créativité le processus de combiner des unités d’information (des bits). Par le simple fait d’être vivants et ouverts au monde, nous enregistrons des impressions sur notre agenda mental, pour intégrer ensuite les différents bits dans des combinaisons nouvelles, que nous appelons nos propres idées, une sorte d’assemblage multimédia des bits existants. Comme dans l’intertextualité, où un texte se crée toujours dans une relation intertextuelle explicite ou non, à d’autres textes. Nous savons aussi aujourd'hui comment les souvenirs sont encodés dans les neurones du cerveau grâce à la synthèse de certaines protéines dans les cellules, comment la fréquente répétition des signaux libère du magnésium et fixe le calcium, ce qui rend possible le stockage stable et permanent dans la mémoire à long terme, comment un processus chimique de renforcement à long terme fait que les connexions entre les neurones soient renforcés régulièrement. Nous savons que nous avons une mémoire émotionnelle ou épisodique (le vécu) et une mémoire sémantique, qui inclut nos connaissances. Qu’en est-il de notre mémoire (sémantique, bien entendu) dans l’ère des nouveaux outils technologiques ?
Clive Thompson montre dans son livre « Smarter than you think. How technology is changing our minds for the better », que ces outils - les moteurs de recherche et l’intelligence artificielle qui bat les champions aux échecs- sont inextricablement liés à notre esprit mental, avec lequel ils travaillent en tandem, en changeant profondément la façon dont nous nous souvenons, nous apprenons, ou «nous agissons » émotionnellement, intellectuellement, politiquement sur la connaissance. Dans le meilleur des cas, ces outils nous aident à retenir et à communiquer davantage, dans le pire, ils nous livrent à la manipulation de leurs créateurs, mais dans l’ensemble ce qui se passe est profondément positif. Notre perception du monde et de nous-mêmes évoluera toujours d’une façon dynamique, et tout va se jouer à l’intersection de la technologie et de la psychologie. Nous sommes arrivés à « externaliser » notre mémoire. Consulter un moteur de recherche est différent de regarder dans une encyclopédie, c’est comme poser la question à une personne surdouée, nous lui déléguons cette tâche. C’est un phénomène que Daniel Wagner, psychologue de Harvard, appelle « transactive memory » : deux têtes font un meilleur travail qu’une seule. Ce partage du travail de remémoration nous rend plus intelligents collectivement et élargit notre aptitude à comprendre le monde qui nous entoure. La compétence à rechercher dans le stock de souvenirs d'autrui représente la caractéristique de notre relation évolutive avec l’information, et elle forme profondément notre expérience de la connaissance. Apparemment, cela peut signifier un rétrécissement de notre capacité mentale, mais il existe un substrat d’une importance capitale : l’externalisation exige que nous apprenions ce que la machine sait, donc une sorte de méta-connaissance nous permettant de retirer l’information quand nous en avons besoin. Thompson observe que nous avons utilisé cette « transactive memory » depuis des millénaires avec d’autres humains. Dans la vie de tous les jours, nous sommes rarement isolés, et faire des transactions d’informations nous permet d’être performants à des niveaux élevés, en accomplissant des actes de raisonnement impossibles par nous seuls. Les machines de recherche font, à beaucoup d’égards, une meilleure « transactive memory » que nous-mêmes, et nos habitudes de recherche se sont adaptées aussi. Nous obtenons sur le Web beaucoup plus qu’une réponse, et l’important est de savoir comment fonctionne l’esprit de ce partenaire : où sont les points forts, les points faibles, les biais. C’est ainsi que nous jugeons les gens autour de nous, mais pour ce qui est de la machine, c’est plus difficile. Les moteurs de recherche sont des compagnies commerciales, donc si nous voulons nous baser sur la connaissance numérique mise en ligne, nous devons regarder d’un oeil sceptique. C’est là une vraie compétence à acquérir, comme celles pour les maths et l’écriture.
Les chercheurs ont découvert que les aires de notre cerveau responsables de la formation des souvenirs, et celles qui sont responsables de l’autocontrôle, sont fortement liées. Si nous restons concentrés ou si nous sommes disciplinés, nous sommes moins aptes à nous souvenir de ce qui se passe. L’autocontrôle et la mémoire se partagent les mêmes ressources dans le cerveau, d’où la théorie que si nous sommes inhibés, nous oublions plus vite. Cela met en lumière la relation entre la réponse de l’inhibition (l’autocontrôle) et les processus cognitifs (la perception, l’attention, la mémoire). Pour le moment, ce n’est qu’une théorie spéculative, mais une piste à explorer pour le traitement des troubles de l’attention (ADHD).
Nos souvenirs sont-ils toujours réels? Les faux souvenirs (quelque chose qui n’a jamais eu lieu - un événement insignifiant, mais aussi une agression) peuvent affecter tout le monde. Les psychologues et les neuroscientifiques ont des réponses, mais le phénomène garde encore son mystère. Selon une étude récente, quand nous nous rappelons quelque chose, nous nous rappelons en réalité la dernière fois où nous avons évoqué le souvenir respectif, et non le souvenir de l’événement réel. Chaque fois que nous nous souvenons d’un événement, la mémoire est affectée et modifiée par nos pensées, nos perceptions, nos émotions. De petits changements dans le souvenir d’un événement à chaque évocation peuvent faire boule de neige et donner un faux souvenir. Nous croyons qu’il est vrai ainsi qu’il a évolué dans notre tête. Comme nous savons, les souvenirs sont stockés grâce aux protéines spécifiques du cerveau, et ces protéines peuvent être reformées ou modifiées à chaque fois que le souvenir est remémoré. Les scientifiques disent que beaucoup de nos souvenirs quotidiens sont reconstruits en faux souvenirs parce que notre vision du monde change constamment. S’il existe des trous dans notre souvenir, notre mémoire les remplit avec la connaissance du moment, avec des croyances ou des attentes. Les fortes émotions associées à un événement peuvent jouer un rôle dans les faux souvenirs.
Elisabeth Loftus, psychologue cognitiviste et experte dans le domaine de la mémoire, a consacré de nombreuses années à des recherches très poussées sur les faux souvenirs, surtout à une époque où la théorie de la « mémoire réprimée » était encore à la mode et avait fait beaucoup de victimes.
« Les chercheurs ont démontré, à travers des exemples authentiques et grâce aux expérimentations, qu’il est possible de croire qu’on a vécu quelque chose qui n’est jamais arrivé (…) Et il arrive que, si les patients affirment ne se souvenir de rien, le thérapeute leur pose la question encore, encore et encore… Jusqu’à ce que la mémoire leur « revienne ». Voilà ce que je découvrais, en étudiant tous ces cas de « mémoire réprimée » avec les comptes rendus écrits des séances de thérapie. Si le patient affirmait ne se souvenir d’aucun abus sexuel dans son enfance, le thérapeute essayait toutes sortes de techniques telles l’hypnose ou l’interprétation des rêves pour aider le patient à recouvrer la mémoire. Selon moi, ces souvenirs surgissant en cours de thérapie avaient tout simplement été induits par le thérapeute. Evidemment, les gens n’appréciaient pas beaucoup ce genre d’explication (…) Les défenseurs de la théorie de la mémoire réprimée ont utilisé toutes sortes de moyens pour me faire taire (…) Ce n’est pas un débat sur la réalité ou l’horreur des abus sexuels, incestes ou autres violences envers les enfants. C’est un débat à propos de la mémoire (…) Il y a moins de cas judiciaires de « mémoire réprimée », parce que le nombre de sceptiques a augmenté… » (Les Nouveaux Psys, trad. P.de Sutter).
Comment guérir les traumatismes émotionnels ?
Un traumatisme émotionnel n’est pas simple à guérir, probablement parce que nous ne comprenons pas vraiment ce que sont nos blessures émotionnelles et que les voies de guérison que nous utilisons ne fonctionnent pas. Il faudra d'abord comprendre que la blessure émotionnelle n’est pas l’expérience traumatisante originelle, mais la croyance que nous en formons. En réalité, c’est cette croyance qui nous diminue et nous fait souffrir. Nous recherchons la sécurité affective, et notre réponse naturelle à tout événement traumatisant est de lui donner un sens. Nous faisons cela en créant des croyances, qui sont des croyances traumatisantes et qui deviennent des blessures émotionnelles. La raison pour laquelle les gens ne guérissent pas est qu’ils essayent de guérir l’expérience traumatisante, et non les croyances traumatisantes. En comprenant que les blessures émotionnelles sont en réalité les croyances traumatisantes que nous avons sur nous et sur le monde, nous avons le pouvoir de guérir.
Deux personnes peuvent avoir le même traumatisme, comme expérience, et des réponses complètement différentes parce qu’elles développent des croyances différentes. Les croyances traumatisantes créent des besoins émotionnels que nous devons rencontrer pour pouvoir guérir, malgré la barrière invisible que les croyances mettent entre nous et ces besoins. Par exemple, si la croyance traumatisante est « je n’ai aucune valeur », le besoin émotionnel consiste à se sentir digne, et si nous nous sentons inconditionnellement digne, la blessure se fermera. C’est pourquoi la guérison est un défi, car les croyances traumatisantes comblent le moi et le sabotent en même temps. Nous aurions tort de croire que les croyances (traumatisantes), que nous avons le droit de développer quand nous avons été blessés, nous protègent. En fait, elles déterminent, altèrent et créent plus que nous ne souhaitons. Elles ont une profonde influence sur la réalité parce qu'elles véhiculent de l’émotion affective intense. Donc, si nous pensons être impuissants, nous attirons des situations qui renforcent cette croyance. Une clé essentielle en vue de la guérison est de prendre toute sa responsabilité à l’égard de sa vie et de ses blessures. Tant que nous blâmons l’extérieur, nous éloignons de nous le pouvoir de guérison. C’est nous seuls qui formulons nos pensées, et donc c’est nous qui sommes responsables de créer et de croire à nos croyances traumatisantes. Celles-ci nous font souffrir parce qu’elles nous déconnectent de ce que nous sommes réellement, et cela parce que notre moi profond ne peut jamais croire que nous sommes faibles ou sans valeur. La souffrance sera notre système d’orientation, une sorte de guide intérieur qui nous alerte de la déconnexion, afin que nous puissions guérir en abandonnant les croyances traumatisantes. Le but le plus élevé des expériences traumatisantes est d’attirer notre attention sur les croyances cachées ou sous-jacentes qui existent dans notre psyché. L’expérience traumatisante active la croyance cachée, de sorte que nous en soyons conscients et puissions guérir (nous ne pouvons pas guérir quelque chose dont nous ne sommes pas conscients).
Il existe quatre croyances traumatisantes : la victimisation, la faiblesse, l’absence de valeur, la perte.
La clé de la guérison en cas de victimisation est de percevoir qui on est réellement, en se rappelant que l’on est le créateur de sa propre vie. Une fois que nous sommes devenus conscients des croyances cachées qui ont favorisé l’expérience traumatisante, nous pouvons les retourner, en dénonçant leur fausseté et en nous tournant vers un but plus élevé.
La plupart d’entre nous sommes conditionnés à croire que le monde a un pouvoir sur nous, et quand un événement négatif se produit, la faiblesse est le sens que nous lui donnons. Guérir de cette croyance, c’est embrasser notre pouvoir intrinsèque, celui qui ne vient pas du contrôle, et dont la source, qui se trouve au centre de notre être, nous relie à l’univers. C’est un voyage affectif de la faiblesse vers la force.
L’absence de valeur est la croyance traumatisante la plus profonde, nous y sommes programmés dès notre jeune âge. Au moment où un événement négatif se produit, nous nous demandons pourquoi c’est à nous que cela est arrivé. La souffrance ne s’en va pas jusqu’à ce que la fausse croyance de notre absence de valeur ne soit abandonnée, et que nous ne cessions de chercher la preuve de notre valeur dans le monde extérieur. Le monde extérieur ne peut nous donner notre valeur, comme il ne peut non plus nous la prendre, car celle-ci est intrinsèque et garantie.
Souvent, quand nous avons une blessure émotionnelle, nous croyons que quelqu'un d'autre nous a pris quelque chose que nous pouvons récupérer. La perte ne crée pas forcément une blessure émotionnelle (la perte d'un proche, par exemple), elle fait partie du flux de la vie. Le chagrin est une réponse naturelle, et nous devons laisser passer. Mais si cela ne se produit pas, la perte peut devenir une blessure émotionnelle, et si nous développons une croyance traumatisante concernant une perte d’amour, nous risquons de bloquer toute nouvelle relation potentielle et nous couper de notre moi-aimant, au lieu de nous aligner sur le rythme de l’univers où l’idée de perte n’existe pas.
Comment guérir les croyances traumatisantes ? Abandonner l’identification avec la blessure (avec le temps, la blessure nous donne une identité, et nous avons du mal à y renoncer). Ne pas attendre l’amour des autres, mais aimer soi-même (c’est plus sûr, écrivait Shakespeare). Il faut aussi ressentir les émotions dans le corps, car c’est là qu’elles s’inscrivent, et ne pas les repousser avant que le processus de « leur traitement » soit complet (comme on traite une information). Une autre clé est d’aller vers un événement passé et le revoir sous un autre jour, en donnant à notre moi-passé un nouveau set de croyances (le recadrer en quelque sorte) qui autorisent la valeur, le pouvoir, la connexion au vrai moi. Nous pouvons aussi aller en profondeur et chercher une vérité capable de nous rendre libres. Chaque pensée, chaque croyance a une vibration, et les blessures émotionnelles sont des croyances à vibrations basses (la peur est la plus basse). Nous pouvons essayer d’élever nos vibrations en nous tournant vers l’amour, le pardon, quelque chose de positif, et la blessure se dissoudra car elle n’existe pas à une vibration supérieure. Enfin, pour guérir, il faut de l’engagement et de la persévérance. Comme le trauma crée des circuits dans notre cerveau pour des croyances qui nous diminuent, la guérison émotionnelle a besoin de recréer le circuit inverse dans le cerveau : de nouveaux patterns de pensées qui soient pratiqués constamment pendant un temps.
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