Le courage de changer (2)
22/03/2016
Changer à l’extérieur
Quand il y a trop de travail, ou quand il n’y en a pas, le stress est toujours présent. Dans les pays occidentaux, le stress provoqué par un travail excessif et frustrant est en nette augmentation. Mais celui qui n’a pas de travail est encore plus déprimé. Il ne s’agit pas seulement d’une question économique. Le chômage tue la libido, le chômeur vit l’absence de travail comme une véritable castration symbolique. Cela est vrai particulièrement dans l’univers anglo-saxon qui met l’accent sur la responsabilité personnelle, alors que le monde latin tend à projeter la responsabilité sur l’extérieur, en faisant par exemple endosser à l’Etat la faute d’un échec personnel. Le chômage suscite chez les hommes des réactions analogues à celles que provoque le viol chez les femmes. Ceux qui perdent leur travail sont impuissants, en colère et souffrent de symptômes dépressifs. On voudrait bien croire que le chômage serait parfois une chance pour apprendre à employer de manière plus créative un temps « libéré » plutôt que « libre » , mais malheureusement, l’expérience clinique semble prouver le contraire : quand le temps libre n’est pas choisi mais imposé, il devient un handicap très lourd, entraînant le manque de confiance en soi et un sentiment de méfiance généralisé. Faut-il comprendre la diminution du travail comme une libération ou comme une condamnation ?
Des études menée montrent que l’activité professionnelle tendrait progressivement à perdre son caractère de pilier central autour duquel s’organise la vie de chacun. Ce qui est certain, c’est qu’à l’avenir, le travail changera de forme et que le temps libre occupera de plus en plus de place dans la vie d’un nombre croissant de personnes. Le travail passera de l’obligation à la créativité, et il devrait offrir deux types de possibilités: la succession de métiers qui évoluent dans le temps, ou la combinaison de métiers différents. Dans certains pays, la mobilité professionnelle est valorisée comme un signe de compétence - un Américain, au cours de sa carrière change de ville et de métier en moyenne tous les cinq ans, la capacité de déplacement étant le signe d’un bon professionnel. En Europe, à l’inverse, la continuité reste souvent considérée comme un indice de stabilité morale et d’attachement à l’emploi, quand bien même cette stabilité et cet attachement se feraient aux dépens de la créativité et de l’initiative personnelle. On voit, d'autre part, se développer le phénomène des « puzzles professionnels »: beaucoup de personnes ne gagnent pas assez avec leur travail principal et mènent une activité parallèle –souvent au noir, et presque toujours sur le temps libre. Cette nouvelle manière de travailler, appelée arc-en-ciel, nécessite des capacités d’adaptation psychologiques qui n’appartiennent pas à tout le monde.
L’espace de travail change également: adieu le bureau, en avant le télétravail, le home working. Les travailleurs épargnent un temps qu’ils peuvent consacrer à autre chose, et les entreprises trouvent un bénéfice en termes de flexibilité, de productivité et de créativité. Le home working a aussi un avantage pour la collectivité, parce qu’il permet une redistribution géographique et sociale du travail, une réduction du trafic et de la pollution. Certains inconvénients ne manquent pas d’apparaître: pour les hommes qui sont habitués à lier amitié sur leur lieu de travail, il peut devenir difficile de socialiser sur des bases différentes, et les femmes, que le travail extérieur a sauvées de la tyrannie domestique, risquent de se retrouver à nouveau emprisonnées entre les quatre murs de leur maison. Peut-être suffirait-il de ne pas imposer le télétravail mais de l’offrir comme possibilité à ceux qui le désirent. En route vers le bureau virtuel: partout, dans des lieux agréables, ou dans les lieux fonctionnels. De nombreuses multinationales ont aujourd'hui tendance à organiser des réunions avec leur personnel dirigeant dans les aéroports, entre deux escales, dans l’idée qu’un lieu de travail doit être plutôt une structure fonctionnelle qu’un endroit fixe. La conséquence de ce mouvement est que les usines et les bureaux commencent à se vider et à perdre leur signification d’unité de temps et de lieu significative et autonome.
Du chef autoritaire au travail en réseau: les changements structuraux qui ont bouleversé l’économie mondiale ont rendu complètement obsolète le type d’organisation pyramidale, rigide, avec une chaîne longue d’intermédiaires qui séparait la personne qui avait un contact direct avec le client ou qui s’occupait de la production de celles qui prenait les options stratégiques. Le développement des ressources humaines est devenu l’objectif principal de l’entreprise, parce qu’un engagement majeur de la force de travail signifie une compétitivité majeure. La différence entre services et produits ne cesse de diminuer, et les entreprises doivent miser sur la vitesse avec laquelle elles sont capables de transformer leurs idées en produits et en propositions plus convaincantes. A l’avenir, la qualité combinée des produits et des services, ainsi que la variété de l’offre seront une condition déterminante du succès économique. C’est pourquoi les salariés se voient demander aujourd'hui un nouvel ensemble de qualités, telles que la créativité, la flexibilité et le sens des responsabilités personnelles. Ces changements dans l’organisation de l’entreprise ont créé une structure plus horizontale que verticale et ont permis de réduire le nombre des niveaux hiérarchiques. Ils ont permis d’augmenter la remontée des informations du bas vers le haut, ainsi qu’une transparence majeure dans la communication des objectifs et des résultats de l’entreprise. Pour passer de la position de « chef » à celle de coordinateur d’un groupe de travail, il faut savoir trouver des médiations en cas de conflit, favoriser l’évolution des salariés au sein de la structure, modifier sa conception de l’autorité et, enfin, acquérir des compétences spécifiques.
Et vous, comment pouvez-vous changer ? Les grandes transformations dans le monde du travail peuvent offrir des chances immenses mais elles nourrissent aussi un fond d’anxiété et d’inquiétude. Quelques suggestions: adieu à la fixité de l’emploi (travailler en free lance..); le travail à temps partiel, une nouvelle chance; le télétravail; savoir utiliser un ordinateur mais aussi parler anglais: telles sont les conditions pour pouvoir aujourd'hui s’en sortir sur un marché en constante évolution. Ce qui n’est pas un problème pour les générations digitales peut en constituer un sérieux pour les personnes âgées ou qui possèdent simplement une formation classique.
Que devient l’argent. Ni dieu, ni démon : un simple allié
Qui commande ? Les financiers ou les hommes politiques ? Ce sont les marchés qui décident aujourd'hui de la politique économique des gouvernements. Le contrôle appartient à ceux qui peuvent déplacer d’énormes masses d’argent d’une place économique à l’autre (banques internationales, fonds de pension) grâce à la libéralisation des marché, la globalisation de l’économie, l’informatisation des systèmes et l’abdication des autorités qui ont abandonné le contrôle de ces transactions de masse par voie électronique. Ce sont eux qui en conditionnent la demande et l’offre en matière d’emplois, de biens et de capitaux. Ce sont eux qui en déterminent les prix. Un jour ils travaillent sur le marché des changes en s’attaquant à la monnaie la plus faible, un jour sur le marché des matières premières, en autre jour sur le marché des actions. Il appartiendrait à la classe politique d’établir les nouvelles règles du jeu monétaire et économique international, mais il semble qu'elle n’ait plus l’autorité pour le faire. La classe politique souffre d’une crise de pouvoir qui se manifeste aussi bien au niveau international par la perte de décision face aux grandes questions économiques qu’au niveau local où, au nom de la décentralisation, les administrations concentrent la plus grande partie des choix et des décisions.
Le pouvoir du dieu argent. En attendant qu’une législation internationale vienne réglementer les marchés financiers et s’opposer au pouvoir excessif des corporations, en attendant une troisième voie entre capitalisme et communisme qui puisse distribuer de manière plus juste le savoir, les richesses et le pouvoir, on ne peut que constater combien le désir effréné d’argent est en train de modifier radicalement notre société. L’argent et les émotions qu’il suscite. Si l’argent peut être un substitut symbolique de virilité, ce n’est pas sa seule qualité. Il est possible de lui en reconnaître au moins trois: la puissance, l’exhibition et la sécurité. Pour certains dépressifs, fondamentalement fragiles, l’accumulation de richesses peut être un facteur de stabilité parce que l’argent permet d’acquérir une plus grande autonomie en limitant le sentiment névrotique d’insécurité. L’argent-exhibition, cela peut être les caprices des émirs, les oligarques russes.., l’argent-puissance, cela peut être l’exemple de l’avocat new yorkais qui empoche des dividendes extraordinaires en défendant une cause célèbre qui va remplir les pages des journaux. La question est alors comment trouver une harmonie entre le désir (phallique) d’affirmation de soi à travers l’argent et le respect de soi et des autres ? La richesse excessive, comme la pauvreté excessive, peut porter atteinte aux rapports les plus sacrés comme ceux qui nous lient à notre famille (enfants vendus à des pédophiles par leurs frères et sœurs, mères qui obligent leur fillette à se prostituer, etc.).
On sait que pendant le XIX e l’argent apparaissait comme quelque chose de vulgaire, il n’était pas convenable d’en parler (on connait l’analogie que fait Freud avec les excréments). Avec le temps, la conduite instrumentale envers l’argent, qui est la plus saine, a été balayée dans les pays occidentaux par l’hypertrophie du dieu argent, hissé en symbole de la valeur personnelle, du pouvoir et de l’intelligence. La quantité d’argent est vue comme la clef du succès. Il est étonnant de voir combien les personnes qui ont réussi, et quelle que soit la manière dont elles ont réussi, aujourd'hui reçoivent des marques d’acceptation, de valorisation et d’intérêt impensables autrefois. Il ne s’agit pas seulement d’opportunisme, mais bien d’un sentiment mixte fait d’admiration et d’envie pour qui a atteint un but désiré de tous.
L’école : de l’enseignement à l’apprentissage. Rénover l’école avec l’éducation émotive (socio-affective). Sept qualités sont nécessaires dans le monde du travail : la confiance, la curiosité, la volonté, le contrôle de soi, la capacité à communiquer, la capacité à coopérer et la capacité à déléguer. Une école incapable d’enseigner ces compétences est une école qui ne sera jamais efficace. A quoi reconnaît-on l’éducation socio-affective ? On définit de cette manière la partie du processus éducatif qui concerne les sentiments, les conduites et les émotions. Elle met aussi l’accent sur le développement personnel et social des élèves et encourage l’estime de soi. La diffusion de cette éducation encore discrète en Europe. La féminisation de la profession a entraîné sa dévalorisation sociale, étant donné que traditionnellement, « les métiers de femme » ont moins de prestige et de pouvoir dans notre société (baby-sitter, assistantes sociales, enseignants, maîtres d’école élémentaire –parmi les métiers les moins rémunérés). Il est important que les garçons et les filles n’aient pas seulement des maîtresses mais aussi des maîtres, justement parce que nous vivons dans une société privée de fortes figures masculines (et cela à cause de l’instabilité matrimoniale, du nombre croissant de divorces, des familles monoparentales, mais aussi les familles normales où les pères sont absents psychiquement ou symboliquement - syndromes qui indiquent l’effondrement de l’identité masculine. Si la figure féminine (qui est le socle de l’empathie et de la capacité à se reconnaître dans ses prochains) est trop présente à l’extérieur de la famille, et en plus, liée à l’autorité et à la sanction, on comprend que cette situation puisse aggraver une structure marquée par un rapport conflictuel et violent à la mère.
Umberto Eco faisait l’hypothèse que notre société connaîtra une nouvelle division: entre les alphabétisés (qui disposeront du pouvoir parce qu’ils maîtriseront le langage des ordinateurs) et les icônisés (qui se contenteront de la télévision parce qu’ils ne connaîtront que le langage des images). Cela permettrait de comprendre pourquoi le petit écran tend à se niveler vers le bas comme si la télévision se préparait à devenir le canal de communication des esclaves du futur. Dans cette hypothèse, on comprend aussi que les hiérarchies sociales soient amenées à prendre un nouvel aspect: le pouvoir dépendra de moins en moins de la richesse, et de plus en plus de la gestion de l’information. Les différences de classes seront structurées non par la possibilité d’acquérir des biens, mais bien plutôt par la capacité d’accès à la connaissance et au savoir. Pour éviter de se retrouver dans la classe des icônisés, il est donc essentiel de maîtriser les nouvelles technologies. Le processus d’apprentissage accompagnera l’être humain tout au long de sa vie, donc de la scolarité à la long life learning, et cet apprentissage ne concerne pas seulement l’acquisition de connaissances, mais l’apprentissage intentionnel et finalisé. Il faudra donc apprendre vite, bien, et de manière continue.
En matière de santé, on passera de la maladie au bien-être. Jusqu’à récemment, c’est le modèle médical qui l’a emporté (la maladie vécue comme une anomalie, une faille dans un état général de bonne santé), mais depuis quelque temps on voit se développer le modèle social. Une approche holiste selon laquelle de nombreuses pathologies individuelles sont provoquées par les conditions socio-économiques dans lesquelles se trouvent les patients: on peut donc les combattre par la prévention. Il est établi que si on voit s’élever les standards de vie, on voit aussi s’améliorer la santé de la population. Au sein des sociétés les plus développés, les personnes qui appartiennent aux classes défavorisées ont un taux de mortalité qui est de deux à quatre fois plus élevé que dans la classe plus aisée. Un bas salaire signifie à la fois une mauvaise alimentation, des conditions précaires de logement, des soins médicaux insuffisants. Cependant, au-delà d’un certain seuil de développement socio-économique, la simple croissance des revenus n’entraîne plus automatiquement l’amélioration de la santé de la population. Dans les pays occidentaux, on remarque que le poids de la maladie est moins lourd quand on a affaire à un tissu social plus dense avec des différences de revenus moins marquées, quand « le capital social » (calculé sur la base des rapports interpersonnels) est plus élevé, quand l’espace public est un lieu de sociabilité qui mobilise la population active. Ainsi, au-delà d’un certain seuil de revenus, la santé ne s’améliore pas seulement si nous prenons soin de nos personnes, mais si le tissu social qui nous entoure est en bon état. Une personne qui multiplie les contacts avec autrui et participe à la vie sociale se porte mieux qu’une personne qui mène une existence solitaire. C’est aussi un fait établi: le travail a une forte incidence sur la santé. Le lien entre l’inégalité des revenus et la santé présente des aspects de nature psychologique et cognitive qui dépassent de loin la situation économique réelle des individus. Des recherches ont montré que, plus que la pauvreté effective ou le véritable manque d’argent, c’est la préoccupation pour l’argent, la sensation subjective du manque qui est à l’origine des troubles. C’est pour cette raison que les partisans du « modèle social » de la santé soulignent l’importance du mécanisme de victimisation dans la recherche des causes de maladie. Les facteurs environnementaux et sociaux ont autant d’importance que les facteurs individuels.
L’OMS a tenu compte de ces nouvelles données, elle s’est élevée contre une définition trop médicalisée de la santé et a préféré la définir comme un équilibre complexe entre trois dimensions : le biologique, le mental et le social. Néanmoins, cette évolution, qui conduit à une approche intégrée des phénomènes de santé et de prévention, suscite des réactions d’hostilité, des résistances dans le milieu médical et chez les patients. La crise de la santé due à un double phénomène: l’utilisation de techniques diagnostiques et de traitements toujours plus coûteux ; l’augmentation des tâches sociales qui ont envahi les structures de soins. 95% du budget de la santé utilisé pour financer les services de soins, et seulement 5% à des programmes de prévention qui ont pour objectif de maintenir et de promouvoir la bonne santé. La crise des structures sanitaires de par le monde est due à un modèle qui privilégie encore le traitement, l’hospitalisation, et les nouvelles technologies qui sont souvent trop coûteuses. Parfois les médecins manquent de formation adéquate. Très peu de moyens sont débloqués pour des programmes dont l’objectif consiste à améliorer les conditions du bien-être : un régime équilibré, un peu d’exercice physique, un milieu sain. Il existe un besoin accru de programmes pour lutter contre l’abus d’alcool, la drogue, contre la plupart des conduites à risque qui peuplent les hôpitaux de malades. Il existe aussi des obstacles plus difficiles à dépasser: les groupes pharmaceutiques, les cliniques privées ou les hôpitaux, l’ordre des médecins qui s’opposent à toute forme de changement qui pourrait aller contre leurs intérêts.
Il faudra moins de médicaments et plus d’expériences revitalisantes. Souvenons-nous: aujourd'hui, en Europe, l’augmentation de l’espérance de vie est davantage liée aux facteurs psychosociaux qu’aux facteurs strictement sanitaires. Les ingrédients essentiels pour une vie saine: de l’air et de l’eau purs, de l’exercice physique, et contre le stress, les meliors (indicateurs positifs) plutôt que les stressors (agents du stress).
Nous sommes conscients de la nécessité de changer, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Le problème est comment identifier les instruments qui nous permettront à la fois de nous développer comme personne et de contribuer à la construction d’une société plus généreuse ? Quelques pistes : découvrons dans quel secteur il faut changer, apprenons à rêver, n’attendons pas que les autres changent, créons les jardins de la beauté et les vacances du bien-être, parions sur les nouvelles technologies, facilitons le changement d’emploi, aidons les jeunes à entrer sur le marché du travail, introduisons l’émotion dans toutes les écoles (éducation socio-affective)…
Les commentaires sont fermés.