Résiliences/Livre
01/09/2016
(Photo: L'Atlantique à Edisto Beach, Caroline du Sud)
Cet ouvrage récent réunit l’apport de quatorze universitaires et praticiens de sept pays au sujet du concept de résilience dans plusieurs domaines : psychologie et psychiatrie, socio-écologie, travail social, réadaptation, éducation, organisation des systèmes, science des matériaux, économie, culture, droit et relations internationales. De là le terme au pluriel Résiliences, Ressemblances dans la diversité.
"L’origine de ce terme se perd dans la nuit des temps, mais il a été utilisé dans une variété de contextes depuis au moins 2065 ans. Son histoire est riche et variée. Il est passé d’une langue à l’autre, d’un pays et d’une culture à une autre, d’une discipline à une autre. Au cours de ce processus, il a été défini et redéfini". Un chercheur aurait trouvé plus de 225 définitions de la résilience. "Au cours de la Seconde guerre mondiale, la résilience est devenue monnaie courante dans des disciplines comme la psychologie et l’anthropologie. (...) Dans son essence, la résilience est un simple concept. Tout comme un matériau doit être robuste et ductile afin de résister et d’amortir la force qui lui est appliquée, la société, par analogie, doit manifester de la résistance et de l’adaptabilité, et ses membres doivent réagir de la même manière. Le problème est comment un tel état peut être atteint. Holling, l’écologue des systèmes, définissait la résilience en référence à l’homéostasie, la propension d’un système à revenir à l’équilibre. Les systèmes écologiques pourraient le faire si on leur permettait de récupérer après des chocs, si l’échelle temps impliquée n’était pas si longue que celle du changement climatique ou de la montée du niveau des mers, et si les frontières du système étaient fermées. Le problème avec les individus et la société, et davantage avec la nature, est l’absence d’une base pour l’équilibre. Tout est tendanciel. Alors, la meilleure formulation pour la résilience est celle basée sur bondir en avant (bouncing forward) et non pas se remettre (bouncing back) après que le système a reçu un choc. Bien sûr, la physique et les sciences sociales ont remis en question l’utilisation du concept d’équilibre et ce, de manière remarquablement similaire."
"La résilience est quelque chose que nous voulons tous réaliser et que nous voulons promouvoir comme partie intégrante du développement humain. Bien sûr, la résilience et le développement vont main dans la main. Dans la réduction du risque de catastrophes, il est bien connu -mais curieusement beaucoup moins mis en pratique- que la sécurité ne peut être réalisée sans relier la réduction de catastrophes au processus de développement général. Dans la même veine, les processus de réduction du risque doivent être durables, en soi et comme partie d’un agenda général de durabilité qui limite notre consommation excessive des ressources. La résilience ne peut être atteinte sans réduire la vulnérabilité et accroître la durabilité. En plus du niveau social, le concept de résilience a été largement appliqué à la santé des individus. Généralement, elle ne peut être atteinte sans un certain niveau du bien-être." Mais qu’est-ce que le bien-être ? Il est rarement défini car il y a une répugnance universelle à être normatif sur quelque chose d’aussi controversé politiquement. "Les preneurs de décisions ont peur qu’une définition du bien-être puisse les forcer à l’offrir et peut-être aussi à le refuser à certains qui aspirent à en bénéficier. La question de savoir si la résilience est le contraire de la vulnérabilité fait penser au débat qui consiste à déterminer si pauvreté et vulnérabilité sont synonymes, auquel la réponse définitive est presque mais pas tout à fait". L’acquisition de la résilience implique la réduction de la vulnérabilité, mais probablement cela n’est pas suffisant.
En psychologie et en psychiatrie, le mot résilience apparaît pour la première fois dans l’American Journal of Psychiatry, en 1942, quand Mildred C. Scoville évoque "l’étonnante résilience des enfants confrontés, pendant la guerre, à des situations dangereuses pour leur vie". "Dans ce texte, Scoville cite l’article publié, la même année, par Dorothy Burlingham et Anna Freud, qui notaient que des enfants ayant vécu des bombardements répétés et très destructeurs ne présentaient pas de signes observables de chocs traumatiques. La résilience psychologique devient objet de recherche avec les thèses de doctorat, soutenues à l’Université Stanford, par Jack Block (1950) et Jeanne Block (1951). Les travaux des époux Block ont fait émerger le concept de résilience du moi dont le sens est précisé en 1980, quand ils le définissent comme l’un des facteurs sous-jacents à l’adaptation. La résilience du moi serait, selon ces deux chercheurs, la capacité à s’adapter de manière flexible."
En comparant le développement de l’intérêt pour la résilience aux Etats-Unis et en France, nous constatons que le mot résilience apparaît en anglais beaucoup plus tôt qu’en français."C’est le philosophe Francis Bacon qui l’utilise pour la première fois, en 1626, dans son ouvrage Sylva Sylvarum ou Histoire naturelle pour désigner la manière dont l’écho rebondit." Selon le Trésor de la langue française, édité par le CNRS, la première occurrence en français du mot résilience (sous la forme résélience) date de 1906, et celle de la forme utilisée actuellement (résilience), de janvier 1911. Les écrivains français adoptent plus tard ce mot, et "Paul Claudel utilise dans L’élasticité américaine (1936/1965) le mot anglais resiliency sans le traduire en français, pour désigner une caractéristique du tempérament américain, qui assemblerait les idées d’élasticité, de ressort, de ressource et de bonne humeur".
En France plus particulièrement, le concept de résilience est à l’origine d’une nette ambivalence. Pendant que certains chercheurs le trouvent passionnant, d'autres le critiquent parce qu'il risque de porter ombrage à leurs options théoriques ou au monopole de leur pratique. Il est important de signaler le parallèle qui existe entre le développement de la recherche sur la résilience aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons, et l’essor de la psychologie positive dans ces pays, approche qui vise "l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des gens, des groupes et des institutions. Il s’agit donc d’une approche qui concerne, en même temps, l’épanouissement et le développement personnel, les relations interpersonnelles et les questions sociales, voire politiques. Dans les pays anglo-saxons, on considère que l’espoir, l’optimisme, une attitude positive sont les clefs de la santé et de la longévité. Selon Seligman (2002), l’un des principaux promoteurs de la psychologie positive, le but de cette approche est de catalyser un changement qui amènerait la psychologie centrée uniquement sur la réparation des pires choses de la vie à s’intéresser aux moyens d’améliorer la qualité de la vie. Le message du mouvement de la psychologie positive est de rappeler que la psychologie doit aussi se consacrer aux forces humaines, pour aider à construire à partir de ces forces. L’accent mis sur les forces des individus rapproche la psychologie positive d’une orientation proche, développée aux Etats-Unis, dans le cadre du travail social. Il s’agit de la pratique basée sur le concept d’habilitation (empowerment, en anglais), qui vise à identifier les forces effectives ou potentielles, les ressources internes ou externes des personnes, ainsi que les ressources additionnelles qu’il faut développer. Loin de constituer une pratique fondée sur un optimisme excessif, l’habilitation tient compte des déficits et des limitations des personnes pour lesquelles elle est utilisée".
Les débats sur le concept de résilience sont nombreux. Certains chercheurs considèrent que la résilience est une caractéristique personnelle stable qui englobe un ensemble de traits reflétant les ressources globales et la solidité du caractère, la flexibilité psychique en réponse aux circonstances environnementales stressantes, un facteur qui protège contre les adversités et les émotions négatives. Pour d’autres chercheurs la résilience n’est pas et ne peut être un trait.
"Le fait de considérer la résilience comme une caractéristique individuelle pourrait avoir des conséquences négatives. Sans vouloir minimiser le rôle des facteurs individuels dans le processus de résilience, il est évident que cette manière de de concevoir la résilience pourrait conduire à la valorisation sociale de certains individus, envisagés comme plus forts, et respectivement, à la stigmatisation de ceux qui ne font pas ou font difficilement face à l’adversité. Dans la perspective résilience en tant que résultat de la rencontre de l’individu avec l’adversité chronique ou le traumatisme, des chercheurs ont observé trois groupes de phénomènes de résilience chez les individus à risque: 1) l’apparition de résultats meilleurs qu’attendus; 2) le maintien, pur et simple, d’une adaptation positive en dépit des expériences stressantes vécues et 3) une bonne rémission après le trauma. En France, en particulier, certains universitaires et praticiens considèrent qu’il n’est possible de parler de résilience qu’après un traumatisme. Cette position pourrait être en relation avec l’influence de la psychanalyse (ou le concept de traumatisme occupe une place importante) et avec une résistance au changement de paradigme qu’entraînerait l’utilisation du concept de résilience dans la pratique clinique".
Le concept de résilience psychologique suscite un intérêt rarement rencontré "parce qu’il fascine en objectivant une attitude optimale face aux adversités de la vie, face aux traumatismes", et en même temps, "il déclenche des appels à la prudence, un travail, réalisé avec rigueur, de clarification terminologique, visant à affiner le concept de résilience, en utilisant les informations issues de son analyse à niveaux multiples, en projetant de nouvelles recherches longitudinales, en collaboration avec ceux qui l’utilisent dans d’autres domaines".
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