Nos émotions sont nécessaires
25/03/2017
(Photo- Edisto Beach, Caroline du Sud, juillet 2016)
Une grande part de l’expérience émotionnelle humaine consiste à exprimer des émotions, positives ou négatives. Dans des circonstances similaires, certains restent calmes et aimables, d’autres peuvent élever la voix, ou avoir une réaction agressive. Néanmoins, les personnes un peu directes, même si elles sont désagréables, s’avèrent très efficaces. Cette agilité psychologique favorise une approche plus effective. Il est fort possible que nous évitions une telle stratégie parce que nous considérons que ce n’est pas bien d’être négatif. Nous pensons que les personnes agressives ou désagréables ne sont pas des gens bien, et nous ne voulons pas en faire partie. La bonne nouvelle est que tout un panel de la négativité -de la bonne négativité- n’a rien à voir avec être un pauvre type. Les émotions négatives peuvent nous aider à gérer une situation. Parfois, l’anxiété et le risque calculé mènent à la solution souhaitée. Les recherches ont montré que les personnes d’humeur plutôt dépressive avaient tendance à observer davantage de détails. Surtout quand il s’agit de déchiffrer les expressions faciales, les moindres changements dans le comportement sont observés, des choses que nous ne remarquons pas si nous sommes de bonne humeur. Personnellement, je sais que parfois l’effort d’être aimable, au lieu de rester juste neutre, factuelle, m’empêche de concentrer entièrement mon attention sur tous les éléments d’une situation précise.
Par exemple, le domaine du contrôle du trafic aérien tend vers les émotions négatives. On sait bien que c’est une industrie basée sur la conscience de la sécurité, où sous-estimer le risque d’une erreur peut être fatal. Les moindres erreurs mènent, d’une part, à des retards et à des complications logistiques, et d’autre part, les coûts peuvent être de l’ordre de dizaines de millions de dollars et de centaines de morts. Des émotions négatives, telles l’anxiété et la méfiance, peuvent diriger notre attention à la manière d'un entonnoir. La plupart des gens commettent la même erreur concernant les émotions négatives, en considérant séparément leur ressenti et leur expression. Beaucoup pensent qu’éprouver des émotions négatives est une expérience psychologique valable et inévitable, tandis qu’exprimer la frustration ou la tristesse serait une abomination. C’est comme si nous nous attendions à être nous-mêmes des ordinateurs dont le fonctionnement est totalement caché de ce qui apparaît à l’écran. Cette attitude existe dans les cultures à des degrés variés, et cela fait partie de l’idée qu’il est plus facile de vivre dans une société où les gens sourient, que de coexister avec des gens qui crient.
Mais c’est oublier que l’expression des émotions existe pour une raison: c’est un important moyen de communication avec les autres. Il est agréable d’être entouré de personnes heureuses ou agréables, jusqu’au moment où il vous arrive quelque chose dont vous vous plaignez. Les recherches récentes montrent que les personnes qui sont en général joyeuses ne sont pas capables de déchiffrer les émotions négatives des autres, bien que, et cela est particulièrement intéressant, elles pensent exactement le contraire.
Les émotions négatives sont essentielles pour notre santé mentale. De nos jours, un nombre croissant de gens culpabilisent d’être négatifs. Une telle réaction est due à un biais prépondérant culturel à l’égard de la pensée positive. Bien qu’il soit indispensable de cultiver des émotions positives, des problèmes apparaissent lorsque les gens commencent à croire qu’ils doivent être optimistes tout le temps. En fait, la colère et la tristesse font partie de la vie, et les recherches montrent que l'expérience et l’acceptation de ces émotions sont vitales. Essayer de supprimer des pensées peut diminuer notre satisfaction, et aussi faire explosion à un moment donné. Reconnaître la complexité de la vie peut être un chemin porteur vers le bien-être psychologique.
Certes, les pensées et les émotions positives peuvent être bénéfiques pour la santé mentale. Les théories hédoniques définissent le bien-être comme étant la présence de l’émotion positive, la relative absence de l’émotion négative et le sentiment de satisfaction de la vie. Or, cette définition n’est pas compatible avec la complexité de la vie réelle. En plus, la perception des gens peut devenir si rose, qu’ils arrivent à ignorer les dangers, ou ils deviennent complaisants. L’approche eudémonique, au contraire, met l’accent sur le sentiment du sens, de l’épanouissement personnel et de la compréhension de soi –des buts qui exigent de se confronter aux adversités de la vie. Les émotions désagréables sont tout aussi essentielles que les émotions agréables, en ce qu’elles font sens des hauts et des bas de la vie. Comme écrivait Adler, « la première raison pour laquelle nous avons des émotions est de nous aider à évaluer nos expériences ». Des études et des recherches ont montré que considérer le bon et le mauvais en même temps peut détoxifier les expériences négatives, en nous permettant de leur attribuer du sens d’une manière qui soutient le bien-être psychologique. Les émotions négatives sont indispensables à notre survie, en ce qu’elles peuvent être des indices d’importance vitale quand un problème de santé, de relation ou autre nécessite une attention accrue. Cette valeur dans la survie, qu’ont les pensées et les émotions négatives, explique pourquoi leur suppression est inefficace. En 2009, le psychologue David J. Kavanagh de l’Université de Technologie du Queensland, Australie, et ses collègues ont demandé à des patients en traitement pour alcoolo-dépendance de remplir un questionnaire qui évaluait leurs besoins et envies de boire, ainsi que leur tentative de supprimer les pensées liées à la boisson dans les 24 heures précédentes. Ils ont constaté que ceux qui avaient combattu les pensées intrusives liées à l’alcool, en réalité les entretenaient pour la plupart. Des résultats similaires dans une étude de 2010 suggèrent que repousser les émotions négatives peut produire de la surconsommation émotionnelle, plus que le simple fait de reconnaître que l’on est nerveux, agité ou triste. Même si nous évitons de nous attarder sur un sujet, notre subconscient est en train de le travailler. Supprimer des émotions et des pensées peut être nuisible. Dans une étude de 2012, le psychothérapeute Eric L. Garland de l’Université Floride et ses associés ont mesuré la réponse au stress basée sur la fréquence cardiaque de 58 adultes en traitement pour alcoolo-dépendance. Ils ont également mesuré la tendance des patients à supprimer les pensées liées à l’alcool, et ils ont observé que ceux qui avaient régulièrement réprimé leur pensée avaient une plus forte réponse au stress que ceux qui l’avaient supprimée moins souvent.
Au lieu de punir les émotions négatives, acceptons-les. Reconnaissons comment nous nous sentons, sans avoir à modifier notre état émotionnel. Respirer lentement et profondément pourra aider, tout comme apprendre à tolérer les émotions fortes, en imaginant, par exemple, que ce sont des nuages qui passent. Une émotion n’est rien d’autre qu’une émotion, une pensée n’est rien d’autre qu’une pensée. Si nous sommes submergés par l’émotion, nous pouvons exprimer ce ressenti en l’écrivant dans un journal, ou en l’exprimant devant une autre personne. C’est un exercice qui change notre perspective et nous donne l’impression que quelque chose vient de cesser. Si le malaise persiste, il faut décider d’agir. Dire à un ami que ces mots nous ont blessés, ou prendre l’initiative de quitter un job qui nous fait souffrir. Nous pouvons essayer les exercices de la pleine conscience qui nous aideront à devenir conscients du moment présent, sans porter de jugement. Un moyen de pratiquer est de nous concentrer sur la respiration pendant que nous méditons, et d’identifier simplement les pensées et les émotions qui flottent. C’est une pratique qui permet de mieux accepter les pensées désagréables. Les chercheurs ont constaté que la pratique de la pleine conscience aidait les individus à vaincre leurs troubles anxieux (tout comme ceux qui, en traitement pour dépendance aux substances, ont mieux géré leur trauma et ont eu moins envie de drogues). Cela marche non en minimisant le nombre d’émotions négatives, mais en formant les patients à les accepter. Il est impossible d’éviter les émotions négatives parce que vivre signifie faire l’expérience des conflits et des contretemps. La clé, c’est d’apprendre comment gérer ses émotions. Au moment où l’on accepte ses pensées et ses émotions, en se débarrassant de sa honte et de sa culpabilité, on voit ses problèmes avec davantage de clarté et on avance sur le chemin de la guérison.
3 commentaires
"En 1987, Daniel Wegner, psychologue américain, a mené une expérience célèbre, sur la répression des idées. Lors d'un test qui aurait pu surgir de l'imagination de Dostoïevski, il a demandé à un groupe de sujets de ne pas penser à un ours blanc. Chaque fois que l'image de l'ours blanc faisait irruption dans leur esprit, ils avaient pour consigne d'actionner une sonnerie. Ils eurent beau faire, aucun des sujets ne parvint à éviter l'idée interdite pendant plus de quelques minutes.
Wegner y voyait l'action de deux processus contradictoires qui s'affrontaient: d'une part, les efforts de votre esprit s'évertuant à penser à n'importe quoi d'autre qu'à cet ours blanc, tandis qu'une autre partie de vous-même pousse subtilement vers votre conscience l'élément que vous voulez éviter."
(Michael Robotham, "Le Suspect", Editions Jean-Claude Lattès 2005 )
J'ai particulièrement apprécié la fin de ton article car cela résume tellement mes lectures et la pratique du yoga,même si la mise en application n'est pas toujours facile.
Cela n'empêche pas de s'efforcer à accepter nos émotions et nos pensées au moment où elles se présentent.
Merci, Marie-Claude!
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