Neurosciences et techniques contemplatives
01/02/2021
(Photo- Lever de soleil à Nice)
Les travaux de Rick Hanson, neuropsychologue américain, chercheur à l’Université de Californie, à Berkeley, thérapeute clinicien, se situent à l’intersection de trois champs: la neuropsychologie, les neurosciences, les sagesses contemplatives. Trois de ses livres ont été traduits en français, et le dernier, Neurodharma, est en cours de traduction. Depuis quelques années, certaines notes de CEFRO font référence à ses ouvrages, Le Cerveau du bonheur, Le Cerveau de Bouddha, et ont également adapté sur ce site des pratiques publiées dans Just One Thing. Dans un webinaire gratuit organisé en juillet 2020 par Quantum Way, Rick Hanson explique en quoi consiste la démarche du Neurodharma. En voici plus loin un résumé, mais, bien sûr, vous pourrez retrouver l’enregistrement en ligne, ainsi que beaucoup d’autres liens envoyant à l’activité de l’auteur (vidéos, conférences).
La plupart d’entre nous voulons deux choses dans la vie : pouvoir être efficaces pour faire face et contribuer aux autres, et aussi être heureux dans un sens fondamental de bien-être, d’épanouissement et de satisfaction. Nous cherchons, pour la plupart d’entre nous, des causes extérieures, du style « si j’avais un bon emploi », « si j’avais la relation qu’il faut », etc., alors je serais vraiment heureux et je pourrais être efficace. Il y a une place pour cela, mais la recherche montre, de même que notre expérience personnelle, que les principales sources d’efficacité et de bien-être viennent de l’intérieur de nous-mêmes. Nous pouvons augmenter le bien à l’intérieur de nous et le garder, de façon que, quoi qu’il arrive dans le monde environnant, nous puissions être résilients, déterminés, efficaces, avoir des compétences internes, de l’intelligence émotionnelle. Une des clés de ce processus qui consiste à développer le bon en soi est d’être plus compétent en changeant notre cerveau pour le mieux, car le cerveau est l’organe qui est conçu pour être modifié par nos expériences. En raison de ce qu’on appelle le biais négatif, le cerveau est facilement modifiable pour le pire, il est comme du velcro qui accroche les mauvaises expériences, mais difficilement les expériences positives.
C’est pourquoi, il est important d’agir en nous-mêmes, de faire des efforts à l’intérieur de nous-mêmes, de savoir comment aller vers des expériences qui sont authentiques, et ensuite de maximiser leur impact bénéfique pour que la structure et les fonctions du cerveau changent durablement. Nous pouvons le faire à l’aide de plusieurs outils, l’essence du projet étant assez simple. Il faut pratiquer plusieurs fois par jour, se poser dans ce qui est bénéfique dans la vie, et puis essayer d’intégrer cela en nous. Ce qui est merveilleux, c’est que personne ne peut nous empêcher de le faire. Personne, peu importe la difficulté de notre vie, ne peut nous empêcher d’apprendre chaque jour quelque chose, de devenir un peu plus compétent, un peu plus capable, un peu plus heureux. Mais personne non plus ne peut le faire à notre place. Si nous exerçons ce pouvoir, de grandir le bon à l’intérieur de nous, nous aurons davantage à offrir aux autres et au monde.
Il y a deux façons dont nous pouvons nous connaître nous-mêmes : objective, à travers la science, depuis l’extérieur vers l’intérieur, et subjective, à travers la psychologie ainsi qu’à travers des traditions millénaires venant du monde entier. L’endroit où ces deux façons de nous connaître se rencontrent, c’est ce que nous pourrions appeler le Neurodharma. On trouve dans le monde entier énormément de traditions, des peuples autochtones, des idées très utiles et des méthodes, qui nous aident à devenir progressivement des personnes plus fortes, plus heureuses, plus sages, plus aimantes. Au cours des cent dernières années, et surtout au cours des dix dernières années, les scientifiques ont appris, et sont en train d’apprendre, ce qui se produit dans le cerveau et dans le corps lorsque les gens développent graduellement ces aptitudes, jusqu'à devenir à terme éveillés. Une grande partie de ces domaines-là n’est pas connue, mais le Bouddha n’a pas eu besoin d’IRM pour devenir éveillé. Cette approche, le Neurodharma, par laquelle on permet à la sagesse et à la science de s’assembler, n’est pas, en elle-même, religieuse. Bien sûr, certaines personnes pourront utiliser cette approche pour renforcer leur pratique spirituelle, mais nous pouvons quand même l’utiliser de manière tout à fait non religieuse pour aborder toutes les petites questions et les problèmes pratiques de tous les jours. Nous pouvons ainsi développer notre aptitude à configurer le réseau de neurones de notre cerveau pour augmenter notre résilience, notre gratitude, notre compassion, et intégrer tout cela à notre corps de façon à pouvoir l’emmener avec nous où que nous allions. Autrement dit, nous pouvons concrètement utiliser notre esprit pour changer notre cerveau, ce qui nous permettra de changer notre esprit et utiliser cela pour nous aider nous-mêmes et aider les autres autour de nous. De cette façon, grâce à ces petites pratiques quotidiennes, nous pouvons faire grandir le bien en nous, étape par étape et voir ce qu’il se passe.
L’auteur propose un petit exercice de moins d’une minute, à l’exemple de ceux qu’il suggère dans Just One Thing [CEFRO en a adapté plusieurs sur ce site, voir la catégorie Rick Hanson en français]. Il s’agit de nous concentrer sur le sentiment d’être aimé, apprécié. Le fait de porter notre attention sur notre corps va engager l’hémisphère droit (consacré aux projets, à l’inquiétude, au sens du soi), faisant que le bavardage mental s’apaise et que l’activité du mode par défaut (à l’arrière du cerveau) soit réduite, ce qui va faire diminuer ou cesser la rumination et l’inquiétude. Une seule respiration, accompagnée de la conscience que nous sommes un tout, aura un effet sur le cerveau. Ensuite, quand nous respirons tout en éprouvant de l’amour, il y a deux phénomènes positifs qui se passent dans le cerveau. Premièrement, la sécrétion d’ocytocine dans le cerveau augmente quand nous nous sentons reliés aux autres, et cela diminue notre niveau d’anxiété. La raison est que l’amygdale, le centre d’alarme du cerveau, a des récepteurs pour l’ocytocine. Quand l’ocytocine entre dans ces récepteurs, c’est comme appuyer sur les freins d’une voiture, cela calme l’activité globalement. La deuxième chose qui se passe dans le cerveau, c’est que, lorsqu'on est dans des relations ou des expériences positives avec les autres, c’est le système d’engagement social dans le cerveau qui fait appel à la branche du nerf vague, qui est la deuxième branche plus récente dans l’humain. Et quand il y a une activité dans cette deuxième branche plus moderne du nerf vague, cela va par ricochet se répercuter sur la première branche, plus ancienne, du nerf vague, qui est reliée à notre cœur et à nos poumons, et qui a un effet d’apaisement à ce niveau-là. Bien sûr, c’est plus complexe, mais les neurosciences sont une science nouvelle. Malgré tout, on peut, de cette façon, expérimenter et voir si ces approches ont un effet sur nous. Néanmoins, cette idée de s’aider soi-même depuis l’intérieur est essentielle dans cette période où nous sommes confrontés à des forces extérieures puissantes, qui nous déstabilisent. Plus nous développons des forces en nous, plus nous pouvons faire face aux problèmes du monde.
Il nous est tout à fait possible de faire grandir en nous un noyau corps-esprit indéboulonnable, en étant conscients de ce que l’on ressent. Il est compréhensible de se sentir en colère, etc., mais la question essentielle sera s’il y a dans notre être une base de gratitude, de résilience, qui nous permet d’être là, tout en faisant face et en affrontant les défis du monde actuel. Nous savons qu’il existe des exemples de personnes qui ont développé des capacités de compassion, de résilience, qui ne dépendent pas de ce qui les entoure. Nous pouvons toujours apprendre quelque chose des personnes qui ont parcouru le chemin jusqu'au stade plus loin que nous (illumination ou éveil). La science actuelle nous permet de comprendre ce qu’il se passe dans le cerveau de ces personnes qui sont de vrais « athlètes olympiques de l’entraînement mental ». Et pourquoi ne pas l’appliquer à notre vie ? (Rick Hanson propose plusieurs programmes sur Quantum Way).
Voilà deux exemples de pratiques que nous pouvons faire quotidiennement. La première est liée au fonctionnement du cerveau, comme un tout, un ensemble : voir son cœur, sa chambre, le monde, comme un tout. Ce n’est pas quelque chose de nouveau, mais avec les actuelles sciences du cerveau, on peut se rendre compte combien cela est relié. Dans notre cerveau, quand nous ressentons tout comme un tout, cela nous ramène à l’instant présent et cela réduit les voyages mentaux (vers le passé ou le futur), et quand nous entrons dans le présent, en ayant moins le sentiment d’un moi très fort, nous allons moins souffrir et faire moins souffrir les autres. La deuxième pratique consiste à cultiver la compassion et l’amour. Nous sommes en train de comprendre que cultiver cela augmente notre résilience, diminue notre stress et protège notre corps contre la vie. L’autre effet, c’est que cela réduit notre anxiété et nous aide à mieux comprendre le monde et à agir de façon plus efficace et ciblée.
Ces deux pratiques font partie des sept pas ou étapes du Neurodharma (sept qualités fondamentales dont font preuve les « athlètes de l’entraînement mental », ces personnes qui sont arrivées au sommet de la montagne où brille une lumière (c’est l’illustration de la couverture de l’ouvrage Neurodharma). Si nous pensons à ces personnes-là, nous pouvons identifier en nous-mêmes chacune de ces qualités et les développer encore plus, et nous pouvons les développer en nous basant sur une connaissance de ce qui se passe dans le corps à ce moment-là. Voici les sept pratiques :
1) apaiser son mental, son esprit, être présent, stable, pleinement conscient, à chaque instant
2) chauffer le cœur - ressentir de la confiance et de l’amour, sentir qu’on est aimé et valorisé par les autres
3) se reposer dans la plénitude, avec un sentiment de contentement et d’équanimité [égalité d’âme, d’humeur, sérénité, indifférence]. Ces trois premières sont la base, la constance du mental, la confiance, l’équilibre émotionnel
4) s’accepter soi-même, ne pas être divisé, ne pas être en conflit avec soi-même, ouvrir son esprit et se percevoir soi-même en tant que tout
5) recevoir le maintenant, l’instant présent (dans le livre, l’auteur explique ce qu’il se passe dans le cerveau quand une personne est continuellement dans le moment présent)
6) s’ouvrir au tout -ce sentiment d’être un soi individuel se dilate et on se sent vécu par l’univers
7) trouver l’atemporalité - ce hors du temps, ce que les grands maîtres appellent le grand mystère, l’ultime, l’absolu, par exemple, le Bouddha a parlé de l’inconditionné, tout ce qui est conditionné est impermanent, et à cause de l'impermanence, on ne peut pas se baser sur ce fondement pour atteindre le bonheur le plus élevé.Tout change, mais ce qui ne change pas, c’est le champ de la conscience elle-même, en tout cas, tant que le corps reste en vie. Si ce champ ne change pas, cela veut dire qu’il est intemporel. La conséquence est que nous pouvons y trouver refuge, y reposer, dans quelque chose de vaste, une quiétude pleine de tous les possibles.
La réponse à la question comment choisir parmi tant de programmes, c’est de regarder ce qui nous semble vrai et qui fonctionne pour nous-mêmes, et s’assurer de développer des bases solides. Imaginons un tabouret dont les trois pieds doivent être au même niveau : la pleine conscience ( être conscient de notre monde intérieur et du monde qui nous entoure de façon stable et constante), la compassion pour soi et les autres (elle nous permet d’utiliser ce que nous apprenons de façon aimante), et l’apprentissage, au sens large (cultiver quelque chose). Le développement au fil du temps nous permettra de transformer nos expériences en des changements positifs durables à l’intérieur de notre corps. On dit traditionnellement que la forme de notre mental (esprit) dépend de l’endroit sur lequel il est posé. Pour beaucoup d’entre nous, il y a quelque chose qui appelle notre cœur, dans lequel nous avons envie de nous poser davantage. Quelle que soit cette chose, demandons-nous comment vivre davantage cette expérience de façon plus authentique et reposons notre esprit à cet endroit-là.
Rick Hanson ne recommande pas la pensée positive. Nous commençons par ce que nous ressentons, comme étant vrai pour nous et pour les autres (par exemple, la souffrance). Ensuite, nous nous posons les questions : suis-je happé par la peur, la colère, la haine ? Est-ce que je les alimente ? Si nous répondons à ces questions, nous nous aidons nous-mêmes et les autres à nous désengager de ces questions et à ne pas les nourrir. En plus de ce que nous percevons comme négatif, nous pouvons reconnaître ce qui est aussi vrai, c’est-à-dire voir encore le bien en nous, et ce qui fonctionne. Quand nous pouvons nous positionner dans ces choses-là, nous pouvons ressentir de la colère, etc., mais sans nous laisser emporter par ça. Nous voyons et sentons ce qui est douloureux ou agréable, mais l’observons en train de changer, et nous restons de plus en plus stable. C’est ce processus fondamental que nous voyons chez des personnes qui se développent au fil du temps. Et nous-mêmes nous pouvons voir ce processus en nous. Ce n’est pas une magie, mais un travail doux. Nous dévoilons toujours plus la bonne nouvelle qui a toujours été là : profondément, en nous, nous sommes conscients, forts, aimants, sages. C’est notre maison. Nous pouvons entrer à la maison. Beaucoup de personnes se sentent sans maison intérieure.
Références
Vous pouvez relire d’autres notes à ce sujet dans les Archives, en tapant un mot-clé dans Rechercher (colonne gauche). Vous pouvez surfer sur le net et visionner des enregistrements de l’auteur. Vous pouvez aussi relire le beau roman Siddhartha de Hermann Hesse.
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