Une pathologie de la mémoire -le TSPT
01/05/2021
(Photo - Station Durandy, Nice)
Les neurosciences montrent que nos expériences modifient en permanence la structure neuronale. Chaque existence comporte immanquablement son lot d’épreuves, avec des douleurs distinctes, et chaque personne réagit différemment et trouve des mécanismes de défense qui lui sont propres. Si nous aspirons vers plus de joie, de calme et de confiance personnelle, nous pourrons apprendre à changer en bien les réseaux de nos neurones et à remodeler notre cerveau, en renforçant les traces des expériences positives. Cette démarche très actuelle, sur laquelle sont basées de nombreuses thérapies et formations individuelles ou de groupe (en entreprise), nous invite à regarder nos émotions, à leur consacrer un peu de temps et d’attention, afin de comprendre les éléments qui se trouvent derrière notre cerveau, à savoir derrière notre comportement et nos compétences. Elle prend son appui sur nos forces intérieures (Inner Strengths).
Le syndrome de trouble de stress post-traumatique est une pathologie de la mémoire. Les victimes ou les témoins d’un événement violent peuvent le développer. Lors de flash-back émotionnels, ces personnes revivent la peur intense éprouvée au moment du traumatisme, en connaissant ainsi des épisodes de reviviscence de l’événement traumatisant. Une équipe de psychologues a mis au point un protocole de soin qui associe la prise d’un médicament bêtabloquant à la lecture d’un texte écrit par le patient sur le souvenir à l’origine du traumatisme.
Nous nous souvenons tous de ce que nous faisions le 11 septembre 2001. Les personnes interrogées ont souvent un souvenir très détaillé de cette journée, elles se rappellent le lieu où elles étaient, ce qu’elles faisaient et les émotions qu’elles ont ressenties quand elles ont appris la nouvelle des attentats. Ces souvenirs flash, dont l’existence a été mise au jour en 1977 par les psychologues américains Roger Brown et James Kulik, se forment lors d’un événement public marquant. Les victimes et les témoins directs de tels événements peuvent développer un trouble de stress post-traumatique (TSPT), qui peut également survenir après un viol, une agression physique ou un accident brutal. Selon l’Association américaine de psychiatrie, 3,5% de la population adulte aux Etats-Unis est aujourd'hui touchée par ce trouble. Les personnes qui en sont atteintes connaissent des épisodes de reviviscence intense de leur traumatisme. Lors de ces flash-back émotionnels (cauchemars ou crises éveillées), elles revivent et ressentent une peur qui s’apparente à celle vécue durant l’événement. Et elles n’ont aucun contrôle sur leur survenue. Un simple indice associé au souvenir suffit à provoquer ces flashs : une odeur, un son, une couleur. Progressivement, cela les amène à éviter certaines situations ou certaines personnes qui pourraient leur rappeler l’épisode traumatique.
Bien sûr, il est normal, pour une victime, de revivre la peur ressentie au moment de l’événement. Mais lorsque ces reviviscences perdurent plusieurs mois après les faits, c’est que la personne a développé un TSPT. On parle d’une pathologie de la mémoire car la destinée émotionnelle d’un souvenir est de s’émousser avec le temps. « Or, la particularité des souvenirs post-traumatiques est qu’ils ne s’atténuent pas. L’émotion de peur liée au traumatisme reste intacte », explique Alain Brunet, psychologue spécialiste du stress post-traumatique à l’Institut Douglas et professeur au département de psychiatrie de l’université McGill, au Canada. Lorsqu'on mémorise un événement, le souvenir qui lui est associé contient deux parties : une composante contextuelle, qui concerne le moment et le lieu de l’événement, mais aussi les odeurs, les sons perçus, et une composante émotionnelle, qui concerne les émotions éprouvées à ce moment-là. Ces deux composantes sont gérées par deux structures cérébrales distinctes qui communiquent entre elles : l’hippocampe (pour la mémoire contextuelle) et l’amygdale (pour la mémoire émotionnelle). Chez les patients en état de TSPT, il y a ce que l’on appelle une sur-mémorisation de l’information émotionnelle, c’est-à-dire que l’information contextuelle est liée à une information émotionnelle disproportionnée. Quand on observe par résonance magnétique fonctionnelle (IRM) le cerveau des patients atteints de TSPT, on constate d’ailleurs une sur-activation de l’amygdale, témoignant d’une charge émotionnelle trop importante. Normalement, avec le temps, l’activité de l’amygdale devrait diminuer, mais ce n’est pas le cas chez les personnes atteintes de stress post-traumatique. D'où la peur, intacte, ressentie lors des reviviscences.
Plusieurs traitements comportementaux existent, dont voici deux approches thérapeutiques. Les thérapies cognitives et comportementales consistent, pour le patient, à travailler de façon active son traumatisme, en particulier les pensées sous-jacentes à ce traumatisme. Le patient peut ainsi apprendre à domestiquer ses pensées vis-à-vis de l’événement traumatique, pour ensuite modifier son ressenti. La thérapie inclut une exposition graduelle aux situations provoquant la peur, des exercices de relaxation pour apprendre à contrôler les manifestations physiologiques, ainsi que des exercices de restructuration cognitive consistant à reconnaître les pensées liées au traumatisme, puis à en modifier la charge émotionnelle. La thérapie EMDR (Eye-Movement Desensitization and Reprocessing) désensibilisation et retraitement des informations par mouvements oculaires, consiste à penser et à parler de son traumatisme tout en réalisant des mouvements oculaires. Cette méthode proche de l’hypnose, inventée en 1987 par la psychologue américaine Francine Shapiro, permet au patient de se déconnecter des émotions liées au souvenir. Recommandée par la Haute Autorité de santé et l’OMS, elle a fait ses preuves dans le traitement du TSPT.
Le protocole récemment mis au point (Alain Brunet) est efficace et peu contraignant pour les patients, il met en jeu la prise d’un bêtabloquant -le propranolol- déjà connu et utilisé contre l’hypertension. En 2018, les résultats d’un essai clinique ont démontré une efficacité de ce protocole dans 70% des cas, or, dans le domaine de la psychiatrie, ce taux correspond à l’efficacité maximale d’un traitement. Le traitement ne consiste pas à effacer le souvenir, mais à en atténuer la charge émotionnelle. Voici le principe : on demande aux patients de mettre par écrit le souvenir à l’origine de leur traumatisme, en détaillant ce qu’ils ont ressenti. Une fois par semaine, pendant six semaines, ils lisent ensuite ce texte à haute voix lors de consultations d’une quinzaine de minutes. Une heure et demie avant chaque lecture, les patients prennent du propranolol. Chez les trois-quarts d’entre eux, le résultat est spectaculaire. 2/3 des patients qui suivent le protocole de réactivation/reconsolidation sous propranolol guérissent. « Après quelques séances, ils voient la charge émotionnelle de leur souvenir diminuer. A la fin du processus, ils passent d’une situation où ils ont l’impression d’avoir vécu l’événement la veille à un état de détachement émotionnel. Ils nous confient alors avoir l’impression de lire le script de quelqu'un d’autre.» Le traitement qui, sans effacer le souvenir, en atténue la charge émotionnelle, repose sur l’exploitation de deux mécanismes complémentaires de la mémoire : la consolidation et la reconsolidation. Lorsque l’on mémorise un événement pour la première fois, l’information passe dans la mémoire à court terme avant de passer dans la mémoire à long terme. Le passage de l’une à l’autre se fait par un mécanisme de consolidation, le souvenir devient définitivement stable au niveau cérébral. Dans les années 1990, Larry Cahill, neurobiologiste à l’université de Californie, a montré, pour la première fois chez la souris, que le propranolol détériore spécifiquement la mémoire émotionnelle. En 2003, Alain Brunet et l’équipe du service psychiatrie du CHU de Lille ont démontré que l’utilisation du propranolol pouvait précisément bloquer la consolidation du souvenir émotionnel chez les patients qui se présentaient en urgence à la suite d’un événement traumatique. Toutefois, il faut agir dans les cinq heures qui suivent l’événement pour que le traitement soit efficace, ce qui est très peu. C’est là que le mécanisme de la reconsolidation devient intéressant. Un souvenir consolidé a beau être stable, il devient labile dès lors qu’on le rappelle. Cette propriété de la mémoire nous permet de mettre à jour nos souvenirs, d’y incorporer de nouveaux détails ou d’en supprimer. Une fois réactivée, l’information contenue dans nos souvenirs peut être modifiée, avant d’être reconsolidée, puis restockée.
« Lorsque le patient lit le compte-rendu de son traumatisme, le souvenir est rappelé, la mémoire est réactivée et nous avons une fenêtre d’une heure environ pendant laquelle on peut agir grâce au propranolol. La molécule agit principalement sur l’amygdale et bloque la reconsolidation de la mémoire, atténuant ainsi la charge émotionnelle du souvenir traumatique. » Le mécanisme de reconsolidation nécessite une importante synthèse de protéines. Au départ, les chercheurs pensaient que le propranolol inhibait cette synthèse au moment du rappel, bloquant ainsi la reconsolidation de la mémoire émotionnelle. Mais des études en cours montrent que ce n’est pas toujours le cas. Parfois, le propranolol n’a aucun effet sur cette synthèse protéique. « On ne connaît pas les mécanismes moléculaires et cellulaires qui, au moment de la reconsolidation, vont dissocier la partie émotionnelle de la partie contextuelle du souvenir. » Même si le mécanisme d’action reste à élucider, le protocole de blocage de la reconsolidation n’en est pas moins efficace. Les chercheurs constatent un taux de rechute de 25% chez les patients sous placebo, contre 0% chez ceux sous propranolol (étude en double aveugle). Le médicament serait donc essentiel pour stabiliser l’amélioration de l’état des malades à long terme.
De septembre 2016 à fin 2019, dans le cadre du projet Paris Mémoire vive (Paris MEM), Alain Brunet et Bruno Millet, psychiatre à l’hôpital de la Pitié- Salpêtrière ont déployé le protocole auprès des victimes des attentats de 2015. Les analyses sont en cours. Le but ici n’était plus de prouver l’efficacité du protocole, mais de le mettre en œuvre, de montrer qu’il pouvait être utilisé dans la pratique clinique courante, qu’il permettait une économie de moyens et de ressources, et que l’intervention, tout aussi efficace, était plus rapide que les autres. Pour Alain Brunet, l’objectif est aussi d’attester que l’on peut enfin intervenir sur des catastrophes de masse. « En 2001, j’avais ressenti une grande impuissance en tant que clinicien, témoigne-t-il. A la suite des attentats de Paris, j’avais entre les mains les données que nous venons de publier. Je savais que je pouvais enfin faire quelque chose pour les patients en état de TSPT, qu’il était possible de remettre sur pied une grande cohorte de gens en six semaines. Et je pense que c’est l’une des réponses les plus convaincantes que l’on puisse apporter pour contrer le terrorisme, dont l’objectif est que les gens vivent dans la peur et l’angoisse. Eh bien, nous sommes aujourd'hui capables de les en libérer ! »
Références :
Le Cerveau, dans La Recherche Numéro spécial 2020
Archives CEFRO :
Les Forces intérieures, une source durable de bien-être
Le livre noir des violences sexuelles
2 commentaires
Quel article clair et hyper documenté!
J'apprends toujours en te lisant.
Merci.
Je t'embrasse.
MC.
Merci, chère Marie Claude !
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