L'emprise psychologique
01/10/2022
(Photo- Roses d'automne au square Durandy, Nice)
Si vous consultez un site de psychothérapie au sujet de l’emprise psychologique, vous lisez que tout le monde peut être victime de cette manipulation mentale, quel que soit son niveau socio-professionnel. L’emprise peut avoir lieu au travail, en famille, en couple, dans une amitié, dans une secte. Trois étapes existent : la séduction (avec l’empathie), la dépendance affective qui s’installe, la perte de liberté. La première conséquence de l’emprise est l’isolement de la personne qui la subit, d’où la difficulté pour l’entourage de réagir. L’emprise s’accompagne de troubles psychologiques dont la dépression, une faible estime de soi, des troubles anxieux, des troubles relationnels, le repli sur soi, jusqu'à la paranoïa. Dans beaucoup de cas il s’agit d’abus de faiblesse, qui est une infraction. Il faut un certain temps avant de la reconnaître, et ce n’est que le mal-être vécu par la personne qui peut alerter son entourage et faire que celle-ci commence à se libérer.
L’emprise est un conditionnement, dont l’objectif est de soumettre l’autre, donc une question de pouvoir et de domination. C’est d’ailleurs le socle des violences psychologiques. On entre dans la tête de quelqu'un, homme, femme, enfant, et on lui donne une façon de voir les choses. D'abord, par la séduction (charme, fascination, isolement, mensonges) qui met la victime, dépouillée de sa personnalité, dans un état de sidération, ensuite par la peur, le dénigrement, les menaces. La victime est comme paralysée, souvent un détachement émotionnel opère, un déni ou un état dépressif. Le manipulateur/ le prédateur est dans le besoin d’exercer son pouvoir et il fait tout pour se rendre indispensable et ainsi conserver sa mainmise (il souffle le chaud et le froid).
Une personne sous emprise est peu à peu dépouillée de sa place de Sujet. Sous l’effet de cette influence, en fonction de sa durée et de son intensité, et surtout en fonction du statut de celui qui l’exerce, elle peut céder, par bribes, par secteurs, tout ou une partie des éléments constitutifs de son identité : son corps, sa vie psychique et affective, sa vie sociale et relationnelle, son nom, ses biens, ses valeurs, ses références culturelles…
Les études ont établi quatre séquences distinctes de la relation d’emprise : appropriation, dépossession, domination, soumission. Le but de cette manœuvre est la neutralisation du désir d’autrui et l’abolition de l’altérité, soit par la séduction soit par la force.
L’emprise dans un contexte religieux correspond à une aliénation mentale, psychologique et spirituelle qui va altérer les capacités de discernement et qui va endormir la conscience. Il s’agit d’une expérience qui va bouleverser, transformer, désorganiser, ou même détériorer l’être.
Les chercheurs ont identifié, dans le paysage contemporain des croyances, deux pôles thématiques correspondant aux impératifs d’une culture moderne : le pôle de la guérison, d’une part, avec la réintégration de soi, et celui de l’après-mort. Il apparaît aussi qu'aujourd'hui les identités religieuses s’héritent de moins en moins, car les personnes désirent choisir elles-mêmes des identités et construire leurs trajectoires. C’est depuis les années 1960-1970, en pleine explosion de la modernité, que sont développées de nouvelles formes de religiosité, avec des représentations nouvelles du « sacré » ou des appropriations renouvelées des traditions des religions historiques. On assiste à une prolifération de croyances, en marge des grandes églises ou institutions religieuses, où chacun s’accorde la liberté de combiner son propre système croyant en dehors de toute référence à un corps de croyances institutionnellement validé. De là, une multitude de mouvements charismatiques, de sectes spirituelles, qui donnent aux individus la possibilité d’affirmer une religiosité personnelle. Un auteur sociologue distingue deux figures du pratiquant : le pèlerin et le converti. La conversion, c’est embrasser une identité religieuse dans son intégralité. Les sectes coercitives s’inscrivent dans ce paysage religieux contemporain où les croyances se disséminent, se conforment de moins en moins aux modèles établis. Face à la violence des sectes coercitives, ce sont d’abord les familles qui se sont mobilisées. En décembre 1974 à Rennes s’est créée la première Association de Défense de la Famille et de l’Individu (Adfi) sous l’impulsion de Guy et de Claire Champollion, dont le fils de 18 ans avait été happé par l’Association pour l’Unification du Christianisme Mondial, mieux connue sous le nom de son fondateur, « Moon ».
Ce n’est pas le fait de « bricoler » sa propre croyance, en empruntant des éléments aux divers courants religieux qui pose problème, mais le fait que ces produits spirituels sont pris pour la vérité, et qu’ils sont enseignés par une personne qui se forge ainsi une autorité.
Le but de cette note n’est pas d’entrer sur le terrain de la religion proprement-dite, en tant qu’attachement, croyance, tradition transmise, mais de s’interroger sur le lien entre le maître et le disciple, entre celui qui représente l’autorité religieuse et le croyant, au regard des récentes révélations sur les dessous peu spirituels d’une religion vénérée en Occident, le bouddhisme tibétain.
En partant d’un article publié dans le Nouvel Observateur (l’entretien avec Matthieu Ricard), je suis arrivée au documentaire diffusé sur ARTE sur le bouddhisme tibétain, si prisé en Occident et secoué par de graves scandales. Dérives, abus sexuels, manipulations mentales, détournements de fonds, et une chape de silence qui les couvre, car l’élève totalement dévoué à son maître doit garder le secret sur les initiations auxquelles il doit se soumettre. Le bouddhisme tibétain fonctionne comme une multinationale, son économie est basée sur le sponsoring et les dons, et il a des centaines de centres et de communautés partout dans le monde. Il n’existe pas de pouvoir centralisé, ces communautés sont indépendantes, et le Dalaï-lama est une autorité morale et politique.
J’avoue que j’ignorais l’ampleur de cet aspect, et que l’entretien avec Matthieu Ricard m’a surprise. Presque tout le monde connaît le scientifique devenu moine tibétain, l’interprète en français du Dalaï-lama, auteur de nombreux livres. En regardant le documentaire et en écoutant les témoignages des victimes qui avaient réussi à se libérer, je réfléchissais au phénomène d’emprise qui reste toujours impressionnant. Je me demande comment les gens peuvent s’abandonner ainsi, mettre leur vie entre les mains d’un gourou, d’une idéologie, d’une religion…Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une quête de sens, comme on le présente d’habitude, mais de faiblesse, de manque de confiance en soi, de soumission. En général, il est question de personnes en rupture affective. Le plus souvent, l’origine de cette rupture se situe dans l’enfance et elle concerne un besoin d’amour et de reconnaissance qui n’est pas satisfait. Alors, on se tourne vers une figure qui peut représenter un père spirituel, ou une mère spirituelle, et qui puisse apporter la protection rassurante.
L’article pourra être lu ici : https://www.nouvelobs.com/monde/20220915.OBS63244/matthie...
Le documentaire « Bouddhisme, la loi du silence », d'Elodie Emery et Wandrille Lanos (France, 2022, 1h30mn) est disponible en vidéo ARTE jusqu'au 13/10/2022.
https://www.youtube.com/watch?v=rhn4IO3XO20
C’est pour cela que je reproduis ici sa description :
Il s’appelle Ricardo Mendes et, très jeune, il a vécu l’enfer dans une communauté bouddhiste à Castellane, loin de l’idéal de sagesse prônée par son fondateur, Robert Spatz. Désormais en quête de justice et s’étant constitué partie civile dans un procès, Ricardo raconte comment le lama belge incitait ses disciples à lui abandonner leur progéniture, lui laissant le champ libre. Sévices corporels, privations de nourriture et de liberté ou viols subis par les filles furent le lot quotidien d’enfants sans protection. Ces abus ne relèvent pourtant pas de l’exception : depuis que le bouddhisme tibétain s'est imposé comme un phénomène de mode dans les années 1960, notamment en Europe, les scandales sexuels et financiers se multiplient, tandis que ses maîtres en exil prospèrent. Icône internationale, le Dalaï-lama a lui-même longtemps couvert les agissements secrets de ceux qui servaient l’expansion de sa religion : avec une économie fondée sur la charité, celle-ci doit éviter les affaires trop tapageuses... Le lama Sogyal Rinpoché, à la tête d’un empire après la publication de son best-seller « Le livre tibétain de la vie et de la mort », finit pourtant par être dénoncé par de nombreuses victimes pour son goût immodéré du luxe, son autoritarisme violent et ses dérives sexuelles. Il symbolise ainsi ce que le Dalaï-lama nomme du bout des lèvres "les problèmes éthiques"... Dans les arrière-salles des monastères "Les gens prennent le charisme pour une qualité spirituelle." Grâce à ses révélations et à la qualité de ses intervenants, ce documentaire édifiant contribue à dessiller le regard occidental "fleur bleue" sur l’exotique bouddhisme tibétain. Les recherches menées par la journaliste Élodie Emery et le documentariste Wandrille Lanos affinent la perception de cette spiritualité qui se pare de tant de vertus, dont la pauvreté. Car le bouddhisme, véritable multinationale, se déploie avec ses têtes de gondole, ses produits dérivés (dont la méditation), ses filiales (les centres bouddhistes pour public aisé), ses stratégies de communication et agences spécialisées dans la gestion de crise. Fort de nombreux témoignages, dont des chercheurs et des adeptes abusé(e)s qui racontent l’envers du décor, ce récit fouillé lève le voile sur les impostures du bouddhisme, si prisé en Occident pour... sa quête de la paix intérieure.
Références
Un ouvrage récent : Delphine Guérard, L’emprise sectaire. Psychopathologie des gourous et des adeptes de sectes, Ed. Dunod, 2022
En ligne : Une vidéo qui explique la manipulation mentale et les techniques des gourous : https://www.youtube.com/watch?v=6Ys22u4OvHk
Sites : https://www.cairn.info/l-aide-memoire-de-psychotraumatolo...
https://psychotherapie.ooreka.fr/astuce/voir/724423/empri...
2 commentaires
Comme toujours excellente analyse sur les dessous du bouddhisme tibétain. C'est documenté. J'ignorais avant de voir le documentaire sur Arte les pratiques révélées et le silence du Dalaï-lama et de Mathieu Ricard qui m'a révolté .
Merci Carmen pour tous ces éclaircissements.
Je t'embrasse.
Marie Claude.
Merci, Marie-Claude, j'ai été déçue, moi aussi, par le silence de ces deux autorités morales. C'est toujours ainsi, la pierre d'achoppement entre le dire et le faire.
Je t'embrasse.
Carmen
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