La philosophie est une activité
01/09/2023
(Photo- Nice. Le soir sur la plage)
« Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ! » écrivait Diderot il y a trois siècles.
« La philosophie n’est pas une doctrine mais une activité » écrivait Ludwig Wittgenstein au siècle dernier.
Le livre d’André Comte-Sponville "Le plaisir de PENSER" encourage tous ceux qui souhaitent pratiquer cette activité, à savoir penser par soi-même, car c’est bien cela philosopher. Il faut d’abord s’appuyer sur la pensée des autres, spécialement des grands philosophes du passé. La philosophie est une aventure mais aussi un travail qui nécessite de l’effort, des lectures, des outils. « Vingt siècles de philosophie font un trésor inépuisable. » Le livre rassemble six cents citations des plus brillants esprits de la pensée occidentale et regroupe douze thématiques majeures: la morale, la politique, l’amour, la mort, la connaissance, la liberté, Dieu, l’athéisme, l’art, le temps, l’homme, la sagesse. Une introduction à la philosophie qui intéressera tous ceux qui veulent « penser mieux pour vivre mieux », et pour cela, il n’y a pas d’âge. Certes, écrit l’auteur, on peut raisonner sans philosopher (par exemple dans les sciences), on peut vivre sans philosopher (par exemple dans la bêtise ou la passion). Mais on ne peut penser sa vie et vivre sa pensée du mieux qu’on peut - puisque c’est la philosophie même.
« Qu’est-ce que la philosophie ? […] La philosophie n’est pas une science, ni même une connaissance. Ce n’est pas un savoir non plus ; c’est une réflexion sur les savoirs disponibles. C’est pourquoi on ne peut apprendre la philosophie, disait Kant: on ne peut qu’apprendre à philosopher. Comment ? En philosophant soi-même: en s’interrogeant sur sa propre pensée, sur celle des autres, sur le monde, sur la société, sur ce que l’expérience nous apprend, sur ce qu’elle nous laisse ignorer… Qu’on rencontre en chemin les écrits de tel ou tel philosophe illustre, c’est ce qu’il faut souhaiter. On pensera mieux, plus fort, plus profond. On ira plus loin et plus vite. Encore cet auteur, ajoutait Kant, « doit-il être considéré non pas comme le modèle du jugement, mais simplement comme une occasion de porter soi-même un jugement sur lui, voire contre lui ». Personne ne peut philosopher à notre place. Que la philosophie ait ses spécialistes, ses professionnels, ses enseignants, c’est entendu. Mais elle n’est pas d’abord une spécialité, ni un métier, ni une discipline universitaire: elle est une dimension constitutive de l’existence humaine. »
« La biologie ne dira jamais à un biologiste comment il faut vivre, ni s’il le faut, ni même s’il faut faire de la biologie. Les sciences humaines ne diront jamais ce que vaut l’humanité, ni ce qu’elles valent. C’est pourquoi il faut philosopher : parce qu’il faut réfléchir sur ce que nous savons, sur ce que nous vivons, sur ce que nous voulons, et qu’aucun savoir n’y suffit ou n’en dispense. L’art ? La religion ? La politique ? La morale ? Ce sont de grandes choses, mais qui doivent elles aussi être interrogées. Or, dès qu’on les interroge, ou dès qu’on s’interroge sur elles un peu profondément, on en sort, au moins en partie : on fait un pas, déjà, dans la philosophie. Que celle-ci doive à son tour être interrogée, aucun philosophe ne le contestera. Mais interroger la philosophie, ce n’est pas en sortir, c’est y entrer. »
« Par quelle voie ? […] Philosopher, c’est vivre avec la raison, qui est universelle. […] La philosophie est questionnement radical, quête de la vérité globale ou ultime (et non, comme dans les sciences, de telle ou telle vérité particulière), création et utilisation de concepts (même si on le fait aussi dans d’autres disciplines), réflexivité (retour sur soi de l’esprit ou de la raison : pensée de la pensée), méditation sur sa propre histoire et sur celle de l’humanité, recherche de la plus grande cohérence possible, de la plus grande rationalité possible (c’est l’art de la raison, si l’on veut, mais qui déboucherait sur un art de vivre), construction, parfois, de systèmes, élaboration, toujours, de thèses, d’arguments, de théories…Mais elle est aussi, et peut-être d’abord, critique des illusions, des préjugés, des idéologies. Toute philosophie est un combat. Son arme ? La raison. Ses ennemis ? La bêtise, le fanatisme, l’obscurantisme – ou la philosophie des autres. Ses alliés ? Les sciences. Son objet ? Le tout, avec l’homme dedans. Ou l’homme, mais dans le tout. Son but ? La sagesse : le bonheur, pour autant qu’on puisse l’atteindre, mais dans la vérité, ou dans ce que nous pouvons en connaître. »[…]
En rappelant les quatre questions par lesquelles Kant résume le domaine de la philosophie (Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Qu’est-ce que l’homme ? ), l’auteur y ajoute une cinquième : Comment vivre ? « Dès qu’on essaie de répondre intelligemment à cette question, on fait de la philosophie. Et comme on ne peut guère éviter de se la poser, il faut en conclure qu’on n’échappe à la philosophie que par la bêtise ou l’obscurantisme. » Car on fait de la philosophie lorsqu'on s’interroge sur le monde, sur l’humanité, sur la justice, sur le bonheur, sur la mort, sur Dieu, sur la connaissance, sur l’ignorance. « L’être humain est un animal philosophant. »
« Il faut donc philosopher : penser aussi loin qu’on peut, et plus loin qu’on ne sait. Dans quel but ? Une vie plus humaine, plus lucide, plus sereine, plus raisonnable, plus heureuse, plus intense, plus libre…C’est ce qu’on appelle traditionnellement la sagesse, qui serait un bonheur sans illusions ni mensonges. Peut-on l’atteindre ? Jamais totalement sans doute. Mais cela n’empêche pas d’y tendre, ni de s’en approcher. La philosophie, écrit Kant, est pour l’homme effort vers la sagesse, qui est toujours inaccompli ». […]Il s’agit de penser mieux, pour vivre mieux. La philosophie est ce travail ; la sagesse, ce repos. »
On peut se demander quelle philosophie étudier, puisqu'il y en a plusieurs, et qu’il y a des convergences, des écoles, des courants, des divergences. En fait, tout nous incite à penser. Le but de la philosophie est le bonheur, mais il n’est pas sa norme. La norme de la philosophie, c’est la vérité au moins possible. Si je pense uniquement ce qui me rend heureux, ce ne serait qu’une version sophistiquée de la méthode Coué, observe l’auteur. « Mieux vaut penser ce qui paraît vrai (quand bien même cette vérité serait cause d’abord de tristesse ou d’angoisse), et essayer, si on le peut, d’en tirer une certaine joie, fût-elle parfois amère, une certaine sérénité, un certain bonheur. La philosophie n’est ni un antalgique ni un euphorisant. Mais elle n’est pas non plus une pensée pure, gratuite ou désintéressée. »
Il faut se soumettre à « la norme de l’idée vraie donnée » (la formule de Spinoza) ou possible, ce que les sciences font aussi bien et souvent mieux. Sauf que les sciences ne disent pas comment vivre, ni si cela vaut la peine, ni comment trouver un certain bonheur. Or, les philosophes le font, chacun à sa façon, et ainsi ils nous aident à vivre, en nous aidant à penser. « Le bonheur est le but ; la vérité, la norme ; la philosophie, le chemin. »[…]
Quelques citations choisies :
« Les idées religieuses, qui professent d’être des dogmes, ne sont pas le résidu de l’expérience ou le résultat final de la réflexion : elles sont des illusions, c’est-à-dire la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts, les plus pressants de l’humanité ; le secret de leur force est la force de ces désirs. Nous le savons déjà : l’impression terrifiante de la détresse infantile avait éveillé le besoin d’être protégé – protégé en étant aimé -, besoin auquel le père a satisfait ; la reconnaissance de fait que cette détresse dure toute la vie a fait que l’homme s’est cramponné à un autre père, à un père cette fois plus puissant. » (Sigmund Freud, L’Avenir d’une illusion, VI)
« L’ignorance et la peur, voilà les deux pivots de toute religion. » (Paul Henri Thiry d’Holbach, Le Bon Sens, X)
« Les religions ont souvent une influence immorale. Ce qui est mis au compte des devoirs envers Dieu est soustrait aux devoirs envers les hommes : il est très agréable de remplacer le manque de bonne conduite envers ceux-ci par les flatteries qu’on adresse à celui-là. Dans chaque religion, on en arrive bientôt à ce que, pour les objets les plus immédiats de la volonté divine, on dépense moins en actions morales qu’en actes de foi, cérémonies du temple et rites en tout genre. […] L’influence moralisatrice est moins évidente. Combien grande et certaine elle devrait pourtant être, pour offrir une compensation aux cruautés que les religions, principalement chrétienne et musulmane, ont suscitées, et aux calamités qu’elles ont apportées de par le monde ! Songe au fanatisme, aux persécutions sans fin, aux guerres de religion, aux croisades, songe à la cruelle expulsion et extermination des Maures et des juifs d’Espagne, songe à la nuit de la Saint-Barthélemy, aux Inquisitions et aux autres tribunaux d’hérétiques, songe aux conquêtes sanglantes des musulmans sur trois continents, mais aussi bien à celles des chrétiens en Amérique, qui ont exterminé la plus grande part ses habitants, tout cela, bien entendu, in majorem Dei gloriam, pour la plus grande gloire de Dieu ! » (Arthur Schopenhauer, Sur la religion, Paralipomena, §174)
« La croyance en Dieu fait et doit faire presque autant de fanatiques que de croyants. Partout où l’on admet un Dieu, il y a un culte ; partout où il y a un culte, l’ordre naturel des devoirs moraux est renversé, et la morale corrompue. Tôt ou tard, il vient un moment où la notion qui a empêché de voler un écu fait égorger cent mille hommes. » (Denis Diderot, Lettre à Sophie Volland, du 6 octobre 1765)
« La foi sauve, donc elle ment. » (Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, 50)
Référence:
André COMTE-SPONVILLE, Le plaisir de PENSER. Une introduction à la philosophie, Editions Vuibert, 2022
2 commentaires
Quelle mine de connaissances et de références !
Merci Carmen.
Je t'embrasse bien fort.
Merci, ma chère Marie-Claude, nous trouvons toujours autour de nous de belles idées capables de nous réconforter, et que nous pouvons aussi partager.Je t'embrasse bien fort.
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