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L'IA et notre immortalité

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(Photo- Nice, la Promenade du Paillon

Au début des années 1990, Internet venait d’entrer en France, et ma première connexion a eu lieu à la Faculté des Sciences de l’Université de Nice, en 1995. Je recherchais des adresses pour envoyer une candidature spontanée, après avoir soutenu ma Thèse. Tout mon travail de recherche s’était fait le stylo à la main, et en lisant des ouvrages bien réels, dans des bibliothèques. J’avais tapé seule mes 450 pages sur un Mac Intosh que des amis m’avaient prêté, en m’auto-formant ainsi dans le traitement de texte. Mon intérêt de base pour les sciences de la littérature a évolué vers des domaines connexes, la compréhension du cerveau et des émotions, des comportements. J’ai la chance d’avoir été témoin des bouleversements scientifiques des dernières décennies, dont l’arrivée de l’IA, et, j’avoue, un témoin enthousiaste. Cette note  de juin (le mois anniversaire de ma Thèse) présente quelques idées du récent livre du Docteur Laurent Alexandre sur une IA (ChatGPT) qui transformera l’humanité en une technologie de l’information et nous rendra immortels.                              

GPT signifie Gnerative Pre-Trained Transformer, une IA capable de générer du contenu grâce au modèle Transformer inventé par Google en 2017. Pour le moment, on parle d’une Intelligence Artificielle faible, qui ne possède pas de conscience d’elle-même, mais certainement on arrivera aux intelligences Artificielles fortes qui n’existent pas aujourd'hui. ChatGPT a accéléré l’histoire de manière inattendue, en nous faisant entrer dans une période d'hyper science, hyper technologie et d'hyper croissance. C’est un tsunami technologique qui va bouleverser l’économie et la société, mais qui va aussi changer la mort, car la révolution dans la recherche va augmenter l’espérance de vie. Le recul accéléré de la mort sera la conséquence de la grande convergence NBIC, les synergies entre Nanotechnologies, Biologie, Informatique et Sciences Cognitives. Les progrès génétiques, les nanotechnologies et l’explosion de la robotique vont littéralement remodeler l’humanité et révolutionner la médecine. La connaissance des caractéristiques génétiques de chacun ouvrira la voie à une médecine personnalisée. Nous allons avoir la capacité technique de transformer la vie, et rien ne nous empêchera d’user de ce pouvoir. 

Selon la loi de Gordon Moore, énoncée en 1965, la puissance des circuits intégrés double, à coût constant, tous les 18 mois (et corrélativement, la taille des transistors baisse). Si en 1951, un transistor faisait 10 millimètres de large, en 1971, 10 microns, soit le millième d’un millimètre, en 2017, les fabricants sortaient les premiers microprocesseurs gravés en transistors de 10 nanomètres. On atteint désormais 114 milliards de transistors sur un seul microprocesseur. Intel prévoit pour 2028 la commercialisation des premiers microprocesseurs comportant 1000 milliards de transistors. Un microprocesseur de 2036 comportera 5000 milliards de transistors et cinq cent mille transistors tiendraient dans la largeur d’un cheveu. En 1938, l’ordinateur le plus puissant sur terre réalisait une opération par seconde. Le 1er juin 2022, le Frontier américain est le premier ordinateur à dépasser 1 milliard de milliards d’opérations par seconde. Le superordinateur Aurora va atteindre 2 milliards de milliards d’opérations par seconde. Intel et Dell ont communiqué en novembre 2023 leur plan pour bâtir les premiers ordinateurs zettaflops c’est-à-dire réalisant 1000 milliards de milliards d’opérations par seconde. La puissance informatique maximale sur terre aura été multipliée par cent milliards de milliards en quatre-vingt-sept ans. Les experts envisagent des ordinateurs effectuant un milliard de milliards de milliards d’opérations par seconde vers 2050. Il y a trente ans, de tels exploits étaient impensables : la lecture de notre ADN, dont le coût a été divisé par 10 millions en vingt ans ; le séquençage des chromosomes des fossiles des espèces disparues ; l’analyse de la trajectoire et de la composition des exoplanètes ; la compréhension de l’origine de notre univers…

Le fondateur de ChatGPT, Sam Altman, a pour objectif de fabriquer une Intelligence Artificielle supérieure à l’Intelligence humaine (Intelligence Artificielle Générale  -AGI en anglais). Laurent Alexandre cite les propos de Sam Altman  avant la sortie de GPT4 : Notre mission est de veiller à ce que l’Intelligence Artificielle Générale (IAG) - des systèmes d’IA qui sont généralement plus intelligents que les humains -profite à toute l’humanité. Si elle est créée avec succès, cette technologie pourrait nous aider à élever l’humanité en augmentant l’abondance, en dynamisant l’économie mondiale et en aidant à la découverte de nouvelles connaissances scientifiques qui modifient les limites du possible. (…). Nous voulons que l’IAG permette à l’humanité de s’épanouir au maximum dans l’univers…et que l’IAG soit un amplificateur de l’humanité. (…) Réussir la transition vers un monde doté d’une super intelligence est peut-être le projet le plus important, le plus prometteur et le plus effrayant de l’histoire de l’humanité…Nous pouvons imaginer un monde dans lequel l’humanité s’épanouit à un degré qu’il est probablement impossible pour aucun d’entre nous de visualiser pleinement pour le moment. 

Il est possible que dans un futur très proche, un monde saturé d’IA pose des questions sur la place de l’intelligence humaine qui deviendrait minoritaire. L’auteur voit trois scénarios. Le premier, l’IA se développe mais n’atteint pas l’IA Générale : elle reste légèrement inférieure au cerveau humain. Nous vivrions alors un simple choc, comme a été l’arrivée de la machine à vapeur ou l’électricité. Deuxième scénario, l’arrivée d’une Intelligence Artificielle Générale légèrement supérieure à l’homme dans tous les domaines cognitifs se traduirait par un changement civilisationnel puisque l’homme verrait ses pouvoirs devenir démiurgiques. Troisième scénario, l’émergence d’une Super Intelligence Artificielle, qui serait des millions de fois supérieure à la totalité des cerveaux humains, provoquerait un changement anthropologique avec une marginalisation foudroyante de l’homme. 

Selon  Geoffrey Hinton, l’inventeur des IA actuelles, l’homme devient la deuxième espèce la plus intelligente sur terre derrière l’IA. Grâce à la dynamique lancée par ChatGPT, le capitalisme cognitif va transformer rapidement les équilibres sociaux et économiques ainsi que le marché du travail. La question est que vont devenir les citoyens moins intelligents que ChatGPT (à terme tous les citoyens) ? En 2024, 2% des Terriens maîtrisent le raisonnement hypothético-déductif. ChatGPT a lancé une course technologique mondiale qui conduit au dépassement de l’intelligence humaine par l’IA des décennies plutôt que prévu, ce qui rend probablement impossible une coévolution douce entre l’IA et l’intelligence biologique. La marginalisation cognitive de l’humanité serait inévitable, selon Sam Altman, en 2038 l’intelligence humaine représentera 0,1 % de l’intelligence totale sur terre et l’IA 99,9%.

En 2025, chaque Terrien produira 150 milliards d’informations numériques par jour (…). De même, le savoir biologique double actuellement tous les soixante-douze jours, alors que notre cerveau reste le même. Notre dépassement est inéluctable. A ce stade, on peut encore imaginer quatre réponses de l’humanité. Toutes posent des problèmes redoutables. La première est le grand remplacement cognitif : nous admettons que l’IA nous est supérieure et nous acceptons notre marginalisation. Nous n’avons jamais vu une ‘espèce’ plus intelligente se laisser dominer par une espèce qui l’est moins. Deuxième piste: la neuro-augmentation. Elle peut se faire par voie génétique, autrement dit le choix de l’eugénisme, ou par voie électronique par le biais d’implants qui conduirait à l’hybridation de deux intelligences. Ce serait l’avènement d’une société de cyborgs. (Elon Musk avec sa société d’implants intracérébraux Neuralink). Troisième réponse, l’interdiction de l’IA, c’est-à-dire son euthanasie. Mais a-t-on le droit d’empêcher une intelligence non biologique de se développer parce que nous avons peur d’être dépassés? Dernière éventualité, l’isolement de l’IA, c’est-à-dire l’apartheid. Nous décidons de cantonner l’IA aux ordinateurs, en l’empêchant d’agir sur le monde et nous limitons nos contacts et nos interactions avec elle. Des quatre scénarios, les deux premiers paraissent beaucoup plus probables. Ils ont des alliés de poids.

Selon Laurent Alexandre, le grand débat actuel qui anime les milliardaires de la Silicon Valley obsédés par la mort oppose les transhumanistes aux post-humanistes, les premiers veulent augmenter l’être humain, les seconds veulent le dépasser radicalement. Les révolutions technologiques qui vont nous conduire vers une humanité 2.0 peuvent être formulées en quatre lettres : les NBIC - Nanotechnologies, Biologie, Informatique, Sciences Cognitives (Intelligence Artificielle, robotique, sciences du cerveau), qui vont converger. La biologie profite de l’explosion des capacités de calcul informatique et des nanotechnologies indispensables pour lire et modifier la molécule d’ADN, donc pour reprogrammer notre patrimoine génétique. La connaissance des faiblesses génétiques de chaque individu conduira à une médecine personnalisée, puis à la chirurgie des gènes. La techno-médecine ne diminuera pas le rôle du médecin, au contraire, son rôle sera crucial dans la hiérarchisation des informations, pour planifier la prise en charge du patient, l’accompagner dans la connaissance de ses risques, le protéger face aux charlatans, etc. Beaucoup de maladies pourront ainsi être éradiquées. Les nanotechnologies bénéficient des progrès informatiques et des sciences cognitives, qui, elles-mêmes, se construisent à l’aide des trois autres composantes. Elles vont nous permettre de construire et réparer, molécule par molécule, tout ce qu’il est possible d’imaginer. Les neurosciences utiliseront la génétique, les biotechnologies et les nanotechnologies pour comprendre puis augmenter le cerveau et pour bâtir des formes de plus en plus sophistiquées d’IA, éventuellement directement branchées sur le cerveau humain.

Le développement de l’IA est aidé par une meilleure connaissance du cerveau, et, grâce aux capacités de traitement informatique, l’analyse de la structure cérébrale progresse rapidement. Notre cerveau est constitué de 86 milliards de neurones et de 1000 milliards de cellules gliales. Pour une analyse complète du câblage neuronal humain, il faudra des serveurs super puissants, capables de faire mille milliards de milliards d’opérations à la seconde (des serveurs zettaflops).  La cognitique progresse. Un projet comme Connectome vise, par exemple, à représenter l’ensemble des synapses en trois dimensions. Comprendre comment sont stockées nos émotions et notre mémoire est fondamental pour lutter contre les maladies dégénératives.

Le plus grand spécialiste de la neuro-IA, c’est-à-dire de l’association des neurosciences et de l’IA, est Denis Hassabis (informaticien et docteur en neurosciences), responsable de la totalité des IA chez Google depuis le 23 avril 2023. Grâce à Internet, la diffusion immédiate de toute innovation permet la mutualisation des connaissances à l’échelle de la planète. Cet univers ‘open-source’ permet une intelligence collective, dopée par l’IA. La noosphère de Teilhard de Chardin  (ce philosophe jésuite avait théorisé l’émergence d’un cerveau planétaire réunissant toute l’humanité sous une forme dématérialisée et les machines pensantes) se bâtit sous nos yeux ! Les savoirs se transmettent de façon virale, à toute vitesse, et c’est un formidable accélérateur dans les sciences de la vie

La popularisation du terme transhumanisme (utilisé pour la première fois dans les années 1950) date du milieu des années 1990, quand les futurologues et les chercheurs commencent à mieux cerner les possibilités de la convergence des NBIC. Les transhumanistes soutiennent une vision radicale des droits de l’humain. Pau importe la race, le genre ou l’origine : un citoyen est un individu autonome qui n’appartient à personne d’autre qu’à lui-même et qui décide seul des modifications qu’il souhaite apporter à son cerveau, à son ADN, ou à son corps. La technologie est un moyen d’échapper à la tyrannie du destin, de la nature et de sa condition sociale

L’IA est, de fait, absolument  indispensable pour faire reculer la mort, tant le vieillissement est un phénomène complexe dont la compréhension exige de puissantes capacités de calcul. Dans le même temps, si l’IA peut aider à lutter contre le vieillissement, elle va marginaliser l’intelligence humaine encore plus vite qu’elle ne peut affaiblir la mort, et une humanité au QI de 86 est totalement incapable de gérer le monde ultra complexe que l’IA va générer, d’où le risque d’une ‘gilet-jaunisation mondiale’.

Même augmentée par voie génétique ou électronique, l’intelligence humaine est en immense décalage par rapport à l’IA, notre cerveau a un potentiel limité et une durée de vie très restreinte. D'ailleurs, mettre à jour, upgrader, entretenir 10 milliards de cerveaux biologiques semblera rapidement dérisoire, alors que le développement de quelques Super Intelligences Artificielles immortelles sera très facile.

A long terme, l’intelligence se protégera des menaces cosmiques: destruction de la Terre, fusion de notre galaxie avec Andromède puis mort entropique de l’univers. Ces tâches seront chronophages : des milliers, puis des millions puis des milliards d’années seront nécessaires, ce qui exclut l’utilisation d’intelligence biologique. Nous constaterons l’inutilité de l’intelligence biologique et nous passerons le flambeau à notre progéniture numérique, l’humanité 2.0.  Nous pourrons devenir immortels mais sous une forme numérique, en perdant notre individualité, puisqu'une noosphère démiurgique est nécessairement unique : 10 milliards d’êtres humains disposant de Super IA est impensable. Nous pensions que l’IA était un outil ou un domestique, elle est notre successeur.

 

Référence

Dr. Laurent ALEXANDRE, ChatGPT va nous rendre immortels, Editions JC Latès, 2024

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