07/03/2016
Le courage de changer (1)
Je souhaiterais partager un livre sur le désir et la nécessité de changer, publié en 1999 aux Editions Mondadori sous le titre Il coraggio di cambiare, et dont les auteurs sont un professeur de psychiatrie et un psychologue (Willy Pasini, Donata Francescato, Le Courage de changer, Editions Odile Jacob, 2001).
Il existe des facteurs internes et externes qui favorisent ou freinent le changement que nous souhaitons ou dont nous avons besoin pour nous renouveler. Notre attitude face au changement dépend de notre histoire familiale, des changements qui sont intervenus dans la vie de nos parents, de notre estime de soi et de notre confiance en nous-mêmes. Elle dépend du milieu dans lequel nous vivons, mais aussi de notre environnement social et culturel. Outre les différents sentiments qui peuvent nous animer, ce sont les styles de changement qui varient d’une personne à l’autre. Certains estiment contrôler leur vie: ils projettent, ils planifient, dans l’idée qu’ils ont le pouvoir de décider des événements. A l’opposé, on trouve les fatalistes, qui croient à la chance ou à la malchance, et qui sont persuadés qu’on ne peut agir sur le destin. Et puis, il y a les situations limites, quand le désir d’être l’artisan de sa propre vie se transforme en un délire de puissance, en un besoin obsessionnel et frénétique de contrôler tout et tout le monde, ou bien quand une trop grande passivité conduit à l’irresponsabilité, à l’incapacité à agir, à la résignation et, en dernier ressort, à la paralysie.
On pourrait observer plusieurs styles: nostalgique, guépard, catastrophiste, caméléon, dégustateur, explorateur, novateur, créatif. Chacun de nous peut identifier un ou deux secteurs où il se comporte en nostalgique, cela n’est pas très grave. Seul le refus du changement érigé en règle de vie est vraiment dangereux. Entre autres, parce que, face à un monde en perpétuelle évolution, les nostalgiques vivent dans la peur, la colère ou la haine. Ainsi, les sociétés traditionalistes se tournent-elles vers le passé et souvent l’imposent par la violence. Le guépard moderne, s’il y est contraint, s’adapte aux transformations, mais dans son for intérieur il les désapprouve et nourrit l’espoir d’un retour en arrière. Le catastrophiste est un expert en négation, à chaque fois qu’un changement se produit, il imagine les conséquences les plus noires, il est effrayé par l’avenir et la nouveauté, il renforce les peurs individuelles et collectives. Il est prisonnier du temps et il interprète tout ce qui se passe autour selon des schémas et des références culturelles dépassés. Le caméléon s’adapte à tout, tout le temps. Le dégustateur consomme à petites doses, il est le véritable médiateur entre tradition et innovation. Il ne refuse pas les changements comme le nostalgique, il ne les nie pas comme le guépard, il n’en craint pas les conséquences comme le catastrophiste, il ne se méprend pas sur leur signification, il ne les appréhende pas sans discernement comme le caméléon. Il s’efforce de comprendre ce qui se passe, d’en découvrir les aspects positifs et négatifs et de bâtir des ponts entre le passé et l’avenir grâce à des critères souples. L’explorateur aime les espaces vierges et il est en quête de territoires inconnus. Le novateur est en quête d’inédit. Le créatif, qui invente de nouveaux produits et services, voit le changement comme quelque chose qui fait partie du processus de création. Il ressent le désir de donner libre cours à sa vocation artistique, ou de résoudre un problème, c’est un innovateur souhaitant expérimenter des solutions inédites.
Changer à l’intérieur
Il faut savoir faire la distinction entre les vrais et les faux changements, les authentiques et les factices, dans la société et dans la vie à deux, et entre les transformations venues de l’extérieur et celles qui naissent en soi, au plus profond de chacun. Il ne faut pas oublier que, d’un point de vue psychologique, ce qui nourrit l’espoir d’amélioration, c’est presque toujours la projection, c’est-à-dire l’attente que quelque chose se produise en dehors de soi. On peut parler de plusieurs étapes vers un changement positif. Il faudra d'abord être prêt à prendre un risque, à surmonter les sentiments négatifs (la peur, la culpabilité, la honte), en sachant que c’est dans notre enfance que s’enracine la confiance fondamentale qui permet de considérer toute transformation comme une évolution, et non comme un danger mortel. Il faut savoir aussi si l’on est nomade ou sédentaire, lent ou rapide, si l’on est poussé par un besoin d’évasion ou par une quête authentique. Ensuite, il faudra voir pour quoi changer et aussi pour qui. L’attitude face au changement s’enracine dans le passé: le goût du risque, la peur qui paralyse, le sentiment de culpabilité, le besoin d’agir sont des aspects du caractère, lequel s’est forgé au cours de l’évolution personnelle de chacun. Mais la décision de donner un tournant à sa vie peut aussi être motivée par des projets tournés vers l’avenir. Avoir un espoir, se lancer dans une entreprise, se fixer un objectif en vue duquel on va concentrer ses efforts: cela peut devenir un moteur de changement dans la mesure où il va falloir mobiliser de nouvelles ressources. Les psychanalystes disent qu’il faut toujours être prêt, parce que l’événement extérieur n’est que le portemanteau où suspendre un changement intérieur qui mûrissait en attendant de se produire. Les thérapeutes comportementalistes, eux, estiment que le stimulus provenant de la réalité extérieure, notamment s’il s’agit du niveau émotionnel, a un pouvoir de transformation bien supérieur à celui d’un portemanteau.
Peut-on sortir de ses prisons intérieures ? Les dépendants, les avides d’amour, les amoureux d’eux-mêmes (narcissiques et agressifs; narcissiques et perdants), les rigides, les obsessionnels et les malades du « contrôle ». Les personnes qui en sont conscientes vont mal, veulent changer, mais ne parviennent pas, et souvent demandent de l’aide à un spécialiste.
Il existe des changements soudains, à la suite des événements qui nous impliquent malgré nous, et qui peuvent provoquer des réactions catastrophiques, mais aussi des tournants salutaires. Les changements sociaux: vivre sans « réseau », la retraite, l’appauvrissement. Les personnes équilibrées, qui ont un monde intérieur dynamique, compensent leur appauvrissement matériel par des richesses d’ordre affectif et intellectuel, ce qui leur permet de s’adapter sans trop de difficultés. Pour d’autres, avoir moins d’argent signifie devoir renoncer à la satisfaction de besoins matériels, qui participent de leur qualité de vie. Bien souvent, la baisse de niveau de vie va de pair avec un appauvrissement de la vie sociale, ce qui crée une souffrance psychologique proche de la dépression. Les changements affectifs: divorce, abandon, décès, deuil. Les changements physiques: des tempêtes hormonales aux premières rides. Les changements résultant de chocs traumatiques: la résilience. Il est plus facile de surmonter des traumatismes imprévus et destructeurs que de gérer des changements ambigus et, donc, plus insidieux. Pour faire face à des chocs bouleversants comme la guerre, l’émigration forcée, la mort de ses parents ou des sévices corporels, il faut surmonter de nombreux obstacles. Certains y parviennent et deviennent des gagnants. Voici quelques caractéristiques qui permettent un rebond stupéfiant:
- La capacité à mettre en place un mécanisme de déni, à savoir un système de défense très primitif, mais qui permet de survivre. C’est comme si l’on effaçait de sa vie un événement insupportable (violence, traumatisme) en le réfutant.
- La capacité à rêver, qui permet de « raccommoder » le réseau de souvenirs en modifiant la trame constituée d’événements insupportables et en lui donnant un sens.
- Le développement du sens de l’humour, c’est-à-dire d’une capacité de rire de ce qui arrive. L’ironie transfigure la réalité.
- Une maturité précoce, pour affronter très tôt une réalité qu’un cœur d’enfant ne peut supporter.
- Un quotient intellectuel élevé. En effet, l’intelligence est un instrument puissant et raffiné, qui sert à donner une cohésion et un sens à des événements qui en sont dépourvus.
- La présence d’un « conteneur adulte » qui sert à la fois de référence et d’organisateur. C’est comme si le regard d’un autre était nécessaire pour donner un sens à des réalités autrement insupportables.
Pour les sédentaires, les bonnes habitudes créent les traditions, lesquelles conservent un élément important de notre culture; dans cette perspective, tous les rites sont importants car ils permettent de maintenir le lien avec le passé. Sommes-nous les gardiens ou les prisonniers des habitudes? L’habitude est source de sécurité et de tranquillité; l’habitude accroît la compétence; l’habitude favorise la reconnaissance sociale; l’habitude est un test de personnalité (en tant que style de vie ou code pour mieux comprendre les autres). Les mauvaises habitudes nuisent à la santé, à la sexualité, à l’esprit (la routine, la rigidité mentale, l’usure par répétition, les conventions entraînant une baisse d’énergie vitale, un vieillissement précoce). Cela est vrai pour l’individu, et également sur le plan social, quand le respect doctrinaire et aveugle du passé et du patrimoine culturel tourne à l’obsession –l’intégrisme est précisément l’application mécanique et absolue de la tradition. Une vérité ancienne prend alors valeur de dogme et devient un moyen de faire taire ses adversaires dans les débats, ou d’établir la norme des rapports sociaux, ce qui débouche sur le fanatisme politique et religieux. Le conformisme est l’adaptation à un modèle. Il a une origine extérieure et fait office de ciment de l’identité sociale, même s’il se transforme ensuite en masque de l’authenticité. Parfois, le conformisme représente une bouée de sauvetage -certains se sont construits un pseudo-Moi, une identité fausse et artificielle, qui leur permet de survivre. Il a aussi une origine intérieure, et se forge au cours de toutes les étapes de notre vie, enfance, adolescence et âge adulte. Mais il peut être un dangereux ennemi, parce qu’il nous amène à vivre selon des règles standardisées, il étouffe toute créativité et il assombrit l’imaginaire. On ne saurait combattre les mauvaises habitudes autrement que par le courage d’explorer, par le goût du changement, par l’acceptation de l’imprévu.
Le besoin de changer. On peut changer par curiosité, par instabilité, pour ne pas changer, et aussi par besoin compulsif de nouveauté (ce qui est une autre prison intérieure). Le changement est alors une sorte de drogue, une exigence primaire qui détermine le style de vie, un comportement qui s’impose à l’individu. Ces personnes ne comprennent pas la différence entre besoin et désir. Il existe une différence entre le besoin et le courage de changer: le courage est animé par des projets, tandis que le besoin va de pair avec le risque de l’urgence, de la répétition, et surtout avec la réduction de la liberté de choix. Parfois, il s’agit plus d’anxiété latente que de superficialité. Les besoins sentimentaux. Certaines personnes changent par « devoir », par une sorte de compulsion émotionnelle, souvent ce comportement étant lié au passé, à une prison intérieure. Mais il arrive que le trait dominant soit l’instabilité du comportement, et non une dépendance pathologique (le besoin de séduire, le besoin de rapports sexuels, le besoin de trahir). Les besoins psychologiques. Souvent une immaturité psychoaffective est l’origine de l’instabilité: la crainte des persécuteurs ; l’urgence impulsive ; le besoin d’agir (l’absence de mémoire du passé), la perversion sexuelle (changer de partenaire pour maintenir son intérêt), la claustrophobie affective. Les thérapies s’inspirent, plus ou moins de quelques modèles principaux: a) psychodynamique-psychanalytique (méthode longue et coûteuse qui consiste à fouiller le passé, et qui est donc centré sur les conflits intrapsychiques vus comme la source unique de tous les problèmes, sans prise en compte de variables environnementales); b) cognitif comportemental (repose sur les théories comportementales de Watson, Pavlov, Skinner: les comportements ne sont pas innés, mais acquis à travers des expériences positives et négatives, et la psychopathologie dérive de modèles de comportement mal adaptés qu’il convient de remplacer par d’autres, plus adéquats); c) humaniste existentiel (la thérapie existentielle de Rollo May et de Viktor Frankl, la thérapie centrée sur le patient de Carl Rogers, la Gestalt-thérapie de Fritz Perls et l’analyse transactionnelle d’Eric Berne. Changer le sens des choses, soigner, mais surtout développer la spontanéité et la créativité des gens afin d’améliorer leur qualité de vie, puisque les troubles émotionnels résultent d’une incapacité à donner sens à son existence. Pour ces thérapeutes, la maladie contemporaine est l’absence de signification; d) systémique relationnel (changer non pas l’individu, mais le système -thérapies familiales ou systémiques, basée sur le ré-encadrement, le contexte); e) corporel (éliminer les blocages du corps, l’être humain étant considéré comme une réalité psycho corporelle. Dans cette perspective, tout événement psychique se manifeste au niveau du corps à travers des tensions musculaires et somatiques qui sont des réactions de défense contre des angoisses et des émotions négatives -thérapie reichienne, végétothérapie, bioénergie, rolfing, thérapie primale, approche posturale).
Pour imprimer à sa vie un changement durable et satisfaisant, il faut trouver le courage de se modifier intérieurement, mais aussi être capable de voir les transformations en cours dans le monde, afin de saisir les occasions qui se présentent et de subir le moins possible des mutations non désirées.
18:11 Publié dans Blog, Compétences émotionnelles/Emotional Intelligence, Conseil/Consultancy, Cours/Courses, Formation/Training, Ingénierie/Engineering, Littérature, Livre, Management/Marketing, Public ciblé/Targets, Science | Tags : changement, habitudes, thérapies, désir, besoin | Lien permanent | Commentaires (0)
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