15/02/2018
Le récit personnel et la conscience personnelle
(Photo- Magnolia à Nice)
Nous pensons souvent que nos croyances profondes, nos opinions, nos émotions résultent d’une longue réflexion. Nous avons l’impression de trier, d’évaluer, de faire des projets et d’aboutir à des décisions. C’est ce qu’on appelle un modèle de base de contrôle d’exécution. Il n’y a pas que les profanes qui pensent ainsi, mais aussi les scientifiques et les universitaires, en tout cas, une grande partie. Cette théorie a prévalu pendant des décennies.
La plupart des experts considèrent la conscience humaine comme une combinaison de deux phénomènes. Le premier est la conscience dont nous faisons l’expérience d’un instant à l’autre -savoir qui nous sommes et où nous nous trouvons dans le monde. Le second est constitué de nos pensées, émotions, impressions, intentions et souvenirs. Et c’est là la nouveauté d’une étude récente, dont les auteurs sont deux chercheurs britanniques, David Oakley et Peter Halligan [voir les Références en bas de note]. Ils disent qu’en réalité, nos pensées et nos émotions sont développées grâce à un mécanisme inconscient derrière nos pensées logiques.
Les « contenus de la conscience » sont complètement sans rapport avec « l’expérience de la conscience », ils sont dérivés des « systèmes non-conscients du cerveau ». En fait, « la conscience personnelle est analogue à un arc-en-ciel qui accompagne les phénomènes physiques dans l’atmosphère mais n’exerce pas d’influence sur eux ». Ces systèmes non-conscients créent les contenus de notre conscience à travers « un récit personnel » auto-référentiel continu. Nos pensées, nos émotions, nos sentiments sont générés « derrière les scènes ». Ces processus sont rapides et efficaces, comme ils doivent être, car notre survie en dépend. Les auteurs utilisent le terme « récit personnel » au lieu de « contenus de la conscience », et « conscience personnelle » au lieu d’« expérience de la conscience ».
Qu’est-ce que notre récit personnel, ou narration personnelle ? Les chercheurs disent que c’est l’accumulation de ce que nous avons appris et des impressions que nous avons gardées de nos expériences passées. Notre récit personnel, qui est constamment mis à jour quand des expériences nouvelles nous influencent, est important car il nous permet de communiquer avec les autres humains et de les comprendre, il nous permet de lier des relations avec les autres et de coopérer. Cela peut engendrer des stratégies pour le bien commun.
Des études sur l’hypnose (quand celle-ci est utilisée pour soigner des troubles neuropsychologiques et neuropsychiatriques) montrent que les gens peuvent modifier leurs pensées, dispositions, perceptions quand ils se trouvent dans des conditions de suggestion puissante. On sait que dans la schizophrénie, les patients ont l’illusion d’un contrôle externe et ils attribuent par erreur des actions auto générées à une source extérieure. Dans l’étude analysée par les deux chercheurs, l’hypnose a été utilisée pour induire la fausse attribution d’un mouvement auto généré à des individus normaux et sains. Les zones activées dans le cerveau, suite à la suggestion hypnotique, ont montré que le fonctionnement du réseau du cortex pariétal cérébral était modifié de façon que les actions auto générées soient ressenties comme étant externes. L’activité du cerveau des patients sous hypnose a été enregistrée. La question est de savoir, puisque ce que nous pensons et ressentons n’est pas sous notre contrôle conscient, dans quelle mesure nous sommes responsables de nos choix, de nos opinions, de nos comportements. Les deux chercheurs croient que le « libre arbitre » (la volonté propre) et la « responsabilité personnelle » sont des notions construites par la société. Ils disent que la capacité à communiquer les contenus de son propre récit personnel, et non la conscience personnelle, est ce qui donne aux humains leur avantage unique dans l’évolution.
Le rôle de l’expérience de la conscience serait d’accompagner passivement les processus non-conscients. De la même façon que l’arc-en-ciel n’a pas de but (il résulte simplement de la réflexion, de la réfraction et de la dispersion de la lumière solaire à travers les gouttelettes d’eau), le phénomène de la conscience personnelle n’a pas de but. Si notre conscience personnelle ne contrôle pas les contenus de notre récit personnel qui reflète nos pensées, nos sentiments, nos émotions, nos actions, nos décisions, alors peut-être que nous ne pouvons pas être tenus pour responsables.
Les auteurs répondent que le libre arbitre et la responsabilité personnelle sont des notions qui ont été construites par la société, de la manière dont nous nous comprenons nous-mêmes comme individus, et comme espèce. A cause de cela, ils sont représentés dans les processus non-conscients qui créent nos récits personnels, et dans la façon dont nous communiquons ces récits personnels aux autres. Le fait que la conscience est assise sur le siège du passager [et non du conducteur] ne veut pas dire que nous devrions nous passer d’importantes notions actuelles comme le libre arbitre et la responsabilité personnelle. Ceux-ci sont intégrés dans le travail de nos systèmes cérébraux non-conscients. Ils ont un puissant but en société et un impact profond sur la façon dont nous nous comprenons nous-mêmes.
Le modèle Oakley-Halligan est un diagramme qui montre toutes les fonctions actuelles de la structure centrale exécutive (CES) et d’autres activités psychologiques, comme les processus non-conscients et leurs produits. [Il figure dans le corps de l’article d’origine cité dans les Références, ici je le décris]. Les tâches les plus importantes parmi ces produits psychologiques sont sélectionnées par une structure centrale exécutive pour créer un récit personnel en cours via le processus de diffusion interne (Internal Broadcasting). Le récit personnel auto référentiel créé comme un produit de la diffusion interne à partir de systèmes non-conscients est passivement accompagné de conscience personnelle. Certains composants de ce récit sont sélectionnés par la structure centrale (CES) pour être transmis (External Broadcasting) à travers le langage oral ou écrit, la musique, l’art, à d’autres personnes. Les destinataires à leur tour transmettent (en interne, ensuite en externe) leur propre information narrative, qui peut contenir, ou avoir été influencée par l’information narrative reçue. La structure centrale exécutive (CES) sélectionne certains contenus de l’actuelle narration qui vont être stockés dans la mémoire autobiographique. Les contenus des retransmissions externes contribuent via la diffusion culturelle (Cultural Broadcasting) à une réserve autonome d’images, d’idées, de faits, de traditions, de croyances, contenus dans le folklore, les livres, les œuvres d’art et les systèmes électroniques de stockage (identifiés dans le modèle comme « Culture »), qui est accessible aux autres dans le groupe social large, mais qui ne dépend pas nécessairement du contact direct interpersonnel. La disponibilité des ressources fondées culturellement est un avantage majeur adaptatif pour le groupe social, et en dernier lieu pour l’espèce dans sa globalité. La structure centrale exécutive (CES) a accès au contenu diffusé du moi et à d’autres contenus d’origine externe, aussi bien qu’à l’information culturelle et aux ressources, tous ayant le potentiel de fournir l’information qui soutient l’adaptation de l’individu (du sujet) et d’être reflétés par le contenu de son récit personnel. En tant que phénomène passif, la conscience personnelle n’exerce pas d’influence sur la structure exécutive centrale (CES), sur les contenus du récit personnel ou sur les processus de diffusion externe et culturelle (External and Cultural Broadcasting). Dans l’image, les processus non-conscients sont en vert et la conscience personnelle (subjective) est en bleu.
La question que se posent les auteurs est pourquoi la conscience serait apparue chez les organismes évolués, si elle n’avait pas de but ? Ils avancent l’explication que tout le processus neuropsychologique a lieu indépendamment de l’expérience de la conscience. Cela ne veut pas nier la puissante et omniprésente expérience de la conscience (subjective), mais plutôt affirmer que tous les processus psychologiques d’exécution, sans tenir compte de leur caractère rapide et intuitif, reflètent en réalité l’activité neuropsychologique de fond qui a lieu dans les systèmes non-conscients.
Références : Your Identity Is Almost Entirely Based on Unconscious Brain Processes
Chasing the Rainbow: The Non-conscious Nature of Being (l'article original complet)
La note de CEFRO: The Hard Problem
Commentaires
Bonjour,
Merci de ces notes de lectures, très intéressantes.
J'ai lu avec grand intérêt le livre de Daniel Favre, Éduquer à l'incertitude, Chez Dunod.
Il pourrait vous intéresser.
Cordialement
Écrit par : Erwan | 15/02/2018
Bonjour,
Merci pour votre commentaire! Je suis impatiente de consulter le livre de Daniel Favre.
Cordialement
Écrit par : Carmen | 16/02/2018
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