01/01/2019
Le Sujet aimant
Bonne Année 2019!
« Le cerveau humain n’a pas été fait pour être heureux, mais pour apprendre. C’est pourquoi l’expérience d’un apprentissage réussi fournit la plus grande quantité d’hormones responsables du bonheur. » (Viktor Frankl)
Dans un entretien accordé à la revue Psychologies (Juillet-Août 2016), le généticien Axel Kahn formule autrement la même idée : Nous n’avons pas de capacité génétique au bonheur. On naît avec un génome humain, on est biologiquement humain, c’est une caractéristique innée. Mais la plus grande de nos propriétés innées dont nous avons hérité avec ce génome, c’est celle d’acquérir, d’apprendre. Etre humain pleinement, c’est donc épanouir, autant qu’on le peut, cette fantastique aptitude au contact des autres humains. La capacité d’apprentissage est présente chez les animaux non humains aussi, mais beaucoup plus limitée. Pour édifier un psychisme humain, l’autre est indispensable. Nous avons tous la capacité à reconnaître la profonde réciprocité entre l’autre et nous, et cela fait le caractère universel de l’aptitude à la pensée morale. Mais c’est toujours le principe de réciprocité qui peut nous entraîner à ne pas être bienveillant, à être injuste, à nier l’autonomie de l’autre. Dès lors, être humain pleinement introduit l’autre comme l’une des finalités de l’existence, on peut dire sa seule finalité incontestable.
Selon le généticien, l’idée du développement personnel est le pire des égotismes modernes. Si nous nous enrichissons mais nous ne voulons rien faire de ces richesses, si nous ne les partageons pas, nous les perdons. Une richesse intérieure qui n’est pas partagée ne sert à rien. Celui qui la possède ne peut pas en profiter pleinement. Nous vivons dans une société qui focalise tout sur l’injonction de nous épanouir par nos propres moyens. Chacun devient maître de son destin, n’est lié à l’autre que par les contrats qu’il peut être amené à passer avec lui, rien de plus. L’injonction à mener un destin individuel amène à un échec obligatoire, à une frustration. Depuis la nuit des temps, d'ailleurs, il n’y a pas un seul poète, un seul romancier, un seul philosophe, un seul psy, à considérer que le bonheur soit accessible sans l’autre. Bien entendu, ce n’est pas le cas de toutes les démarches de développement personnel, qui peuvent être tournées vers autrui, ni celui des auteurs engagés dans une recherche spirituelle, qui entendent se développer de différentes manières, par la méditation ou la spiritualité, pour avoir plus à apporter aux autres.
Nous n’avons pas de capacité génétique au bonheur, nous avons une capacité génétique à être humain. Cela nous fait préférer le bien-être au mal être, la sérénité au stress. Dès lors, si être bons, généreux, nous était désagréable, nous ne le serions tout simplement pas. Même l’altérité la plus empathique exige qu’on en éprouve une certaine forme de plaisir. Le substratum de bonheur est en partie obligatoire à toute forme d’action. Dans une définition à valeur générale, le bonheur est l’adéquation entre le ressenti et l’aspiration. Autrement dit, si les saints avaient horreur d’être saints, ils ne le seraient pas.
Voici plus loin: trois notes antérieures sur le rôle de la mémoire dans notre relation à l’autre et dans notre recherche du bonheur, et sur le récit, comme l’une des formes les plus universelles et les plus puissantes du discours et de la communication humaine (La mémoire et le regret ; La mémoire ; Les bons récits); en PDF mon texte Le Sujet aimant au Moyen Age. (Les attitudes amoureuses illustrées dans la littérature courtoise ne sont que l'illustration de l'effet que l'amour peut avoir sur les comportements, dans ce sens qu'il exprime la construction de l'être humain, la structuration du Sujet aimant. Situer l'amour courtois au niveau du langage revient à éclairer la psyché médiévale dans la perspective de la structure psychologique de l'être humain.)
Photos: 1. La revue Trames,1995. 2. L'illustration Christine de Pisan donnant une leçon à quatre hommes, XVe siècle, dans mon Carnet d'adresses des Dames du temps jadis (1995)
14:30 Publié dans Blog, Compétences émotionnelles/Emotional Intelligence, Conseil/Consultancy, Littérature, Livre, Science | Tags : bonheur, cerveau, sujet aimant, littérature, psychologie, philosophie | Lien permanent | Commentaires (0)