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01/10/2021

La maîtrise de soi

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(Photo -La Promenade, Nice)

 « L’âme est un certain mode déterminé du penser et ainsi ne peut être une cause libre, autrement dit, ne peut avoir une faculté absolue de vouloir ou de non vouloir ; mais elle doit être déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause, laquelle est aussi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre, etc. » (Spinoza

Jung écrit que notre volonté est une fonction dirigée par notre réflexion dont elle dépend. Notre réflexion doit être rationnelle, c’est-à-dire conforme à la raison. Or, on ne pourra jamais démontrer que la vie et la destinée sont conformes à notre raison humaine, c’est-à-dire qu’elles sont rationnelles. Elles sont irrationnelles, c’est-à-dire qu'elles ont leurs fondements, par-delà la raison humaine. "L’irrationalité des événements se montre dans le prétendu hasard", que nous rencontrons partout, même si nous ne pouvons accepter qu’un processus ne soit motivé par l’enchaînement de ses causes.

D'après William Glasser, « les gens n'agissent pas de façon irresponsable parce qu'ils sont malades; ils sont malades parce qu'ils agissent de façon irresponsable ». Sa théorie (la thérapie par le réel) met en rapport les besoins psychologiques essentiels et la responsabilité:pour faire cesser un comportement insatisfaisant, le malade doit pouvoir satisfaire ses besoins de façon réaliste et responsable. Pour y arriver, le patient doit faire face au monde réel qui l'entoure, et ce monde inclut des normes de comportement. Le rôle du thérapeute est de confronter les comportements du patient à ces normes et de lui faire juger la qualité de ce qu'il fait. Si les patients psychiatriques ne jugent pas leur propre comportement, ils ne changeront pas.

Nous arrivons invariablement au mot de Socrate : Connais-toi toi-même. Mais il s’agit d’un idéal difficile à atteindre. Il a même fallu attendre Freud et la psychanalyse pour réaliser à quel point il est difficile, sinon impossible, d’arriver à une connaissance de soi. Il est évident qu’il n’y a aucune « maîtrise » de quoi que ce soit sans  connaissance. La maîtrise de soi implique que l’on puisse avoir une action sur nos gestes, nos raisonnements, nos impulsions et nos pulsions. Sans connaissance de soi, aucune maîtrise n’est possible.


Mais si la connaissance de soi est bornée par ce que l’inconscient nous cache, alors la maîtrise de soi reste, elle aussi, un idéal -que seul le « sage » peut-être atteindrait. Décrire ses émotions, c’est une clé de maîtrise de soi. Pour décrire ses émotions, il faut savoir ce que l’on ressent, et pouvoir mettre des mots dessus, ce qui n’est pas un exercice facile. Les managers de culture scientifique et technique n’ont pas souvent les mots pour exprimer ce qu’ils ressentent, les gens déprimés, qui n’ont plus de désir, ni de plaisir sont incapables de parler de tristesse ou de leur stress, ils ne parviennent pas à identifier leurs sentiments, deviennent irritables et nerveux et sont de plus en plus dépressifs.

Mieux communiquer et mieux contrôler l’émotion devraient aller ensemble, car tant que je suis incapable d’identifier mes émotions, je ne peux ni parler, ni comprendre les émotions des autres (l’empathie), et la communication et les relations sont plus difficiles en famille et au travail. Par exemple, les enfants et les adolescents communiquent spontanément sur le mode émotionnel, et si je ne me mets pas sur le même plan, la communication est difficile, les conflits sont nombreux, je risque de somatiser. Au contraire, quand j’identifie précisément ce que je ressens, je peux remonter aux sources de l’émotion, repérer l’émotion cachée derrière celle qui est visible : la jalousie derrière la colère, la frustration derrière l’agressivité. Je peux même visualiser l’émotion sur une échelle imaginaire pour mieux la contrôler, et je peux trouver ainsi la réponse la mieux adaptée. Il y a deux opérations à faire: d’abord nommer précisément ce que l’on ressent, c’est-à-dire reconnaître et nommer exactement dans le détail ce que l’on ressent, au moment où on le ressent, surtout pour les émotions négatives (colère, peur, tristesse, dégoût, jalousie, honte…), qui sont les plus difficiles à contrôler. « Qu’est-ce qui m’arrive exactement, ici et maintenant ? » Ensuite, prendre conscience des pensées associées : à quoi me renvoie cette émotion que je ressens en ce moment ?

Prenons un exemple spécifique de la gestion des émotions, celui de la préparation mentale (sujet très à la mode chez de nombreux sportifs, mais aussi auprès des entreprises, ou dans des situations de tests). Le but de la préparation mentale est d’amener le sportif à être prêt mentalement pour atteindre son objectif, c’est-à-dire il s’agit de le mettre dans des conditions optimales afin qu’il puisse réussir. Qu’est-ce qu’un bon mental ? C’est justement savoir gérer ses émotions, les apprivoiser pour mieux les maîtriser. Il ne s’agit pas d’avoir zéro stress, mais plutôt la juste poussée d’adrénaline qui nous permet de nous dépasser lors de situations perturbantes ou extrêmes (la compétition est une situation extrême, puisqu'elle demande des efforts plus intensifs et parfois une prise de risque inhabituelle). La préparation mentale nécessite une bonne connaissance de soi (de son corps, de sa psychologie) et de sa pratique. Elle nécessite une bonne concentration : il s’agit de rester concentré sur l’objectif, pas forcément objectif de résultats, mais sur le ou les objectifs intermédiaires (les étapes) qui permettront d’atteindre l’objectif ultime. La préparation mentale peut ressembler à un conditionnement, car il s’agit de se conditionner ou de conditionner le sportif à agir et à penser d’une certaine façon lors de l’épreuve. La veille de l’épreuve, le sportif réalisera une visualisation de ce qui se passera demain, une sorte d’échauffement mental afin d’ancrer les meilleurs gestes, la meilleure technique, tactique, dans les méandres de son cerveau pour le reproduire tel un automatisme le jour J. Donc, la visualisation consiste à s’imaginer le déroulement de l’épreuve en vue de se préparer mentalement à cette dernière, c’est-à-dire qu'il s’agit de se raconter une histoire en étant le plus réaliste possible (d’où l’importance de bien se connaître, mais aussi de connaître la compétition –date, horaire, lieu, météo..). Elle utilise le VAKOG (le visuel, l’auditif, le kinesthésique, l’olfactif et le gustatif), chacun étant différent, une personne à dominante auditive sera plus sensible au bruit de l’environnement, celle à dominante visuelle s’attardera sur les détails du paysage, le kinesthésique sera centré sur ses sensations musculaires. Pour bien pratiquer la visualisation, il faut se mettre en état de relaxation. Durant la visualisation, notre cerveau ne fait pas de distinction entre le passé, le présent, le futur. Il vit la situation imaginée comme si elle existait réellement, un peu comme lorsqu'on rêve. Seulement, nous sommes conscients de ce que nous vivons. Donc, nous allons nous raconter notre histoire, sans nous mentir à nous-mêmes, sinon nous tombons dans le domaine du rêve. Lors de la visualisation, il faut rester positif, pas de négations comme je n’ai pas peur, car si nous pensons cela, forcément nous avons peur. Donc, nous devons nous tenir un discours positif : je suis calme, ou donner des solutions : je respire lentement. Les termes employés sont capitaux, car ce sont eux qui nous conditionnent et si nous les mémorisons, ils peuvent avoir une influence sur notre manière de penser et d’agir.

Le comportement de maîtrise de soi signifie aussi pouvoir éviter les tentations ou savoir y résister. De nombreuses expériences psychologiques ont montré comment les sujets réagissent devant la gratification immédiate pour obtenir une double récompense, comment faire force de volonté pour ne pas céder à la tentation. Comment résister à l’envie d’un bon verre de vin, d’un hamburger ou d’une cigarette ? En utilisant une technique appelée pré-engagement, qui consiste à aménager notre environnement quotidien pour ne pas y être trop souvent confronté.

Une découverte générale sur la psyché humaine, appelée paradoxe de la maîtrise de soi, montre que les personnes qui disposent d’une plus forte volonté (telle qu’elle peut être mesurée par l’intermédiaire de questionnaires) sont aussi celles qui ont le moins besoin de l’utiliser dans leur quotidien. On a observé, lors de telles expériences, que certains sujets se retrouvaient moins que d’autres à devoir lutter contre des désirs importuns, ils présentaient justement une meilleure maîtrise de soi (d’autres traits de personnalité y contribuant aussi). Cela veut dire que la volonté semble moins une aptitude à inhiber nos désirs et résister aux tentations qui nous assaillent qu’une stratégie cognitive anticipatrice, un aménagement de notre quotidien.

Le courant de recherches actuel concernant les stratégies de maîtrise de soi (l’équipe du professeur Angela Duckworth de l’université de Pennsylvanie) propose une vision différente de la vision classique (Platon), qui consistait à réduire la maîtrise de soi à la capacité à inhiber les pulsions et les désirs importuns. Cette approche considère la volonté comme un ensemble de stratégies qui permet d’atteindre les buts que l’on se fixe. Autrement dit, il faut anticiper ou se pré-engager : on identifie d’avance les tentations qui pourraient nous détourner de nos objectifs et on aménage le contexte pour ne pas y être confronté. Pourquoi dépenser de l’énergie dans la lutte contre les tentations, alors qu’on pourrait s’en passer ? Il y aura toujours un moment où nous serons plus faibles, épuisés, stressés et où nous risquons de céder.

Les différences entre ces deux stratégies -anticipation et résistance - ont aussi été identifiées au sein même du fonctionnement cérébral. Deux structures distinctes du cortex sont associées à ces deux stratégies. Les chercheurs de l’université de Cambridge (Molly Crockett et ses collègues) ont montré grâce à l’IRM que l’exercice de la volonté pour résister à des tentations était associé à l’activation du cortex préfrontal dorsolatéral, du cortex pariétal postérieur et du gyrus frontal inférieur, alors que leur anticipation et la mise en place des moyens pour éviter d’y être confronté étaient associées au cortex frontopolaire latéral. Les chercheurs ont tiré de ces observations l’hypothèse d’un modèle hiérarchique de la maîtrise de soi dans lequel le cortex frontopolaire latéral officierait en tant que chef d’orchestre. Un argument de plus en faveur de l’anticipation plutôt que de la résistance aux tentations.

Ces travaux récents jettent finalement un éclairage nouveau sur le concept d’autocontrôle : mieux anticiper les situations où nous risquons de flancher afin de les éviter. 

 

Ressources

  • Archives CEFRO :
    • L’(in)adaptation au réel 
    • (Re) Lectures sur la volonté 
    • Acceptons nos émotions
  • Développer ses compétences émotionnelles dans le monde du travail –Cours CEFRO
  • Cerveau & Psycho, 135, Septembre 2021

 

Commentaires

Cet article fait tellement écho au livre que je suis entrain de lire
"Les mots sont des fenêtres" de Marshall B. Rosenberg à propos des sentiments et des émotions. la difficulté à savoir ce qui se cache derrière nos émotions,savoir à quoi me renvoie cette émotion. Pour Rosenberg se cachent derrière nos émotions des besoins nos satisfaits... Là je m'éloigne de la maîtrise de soi,quoique...il est aussi question de bien se connaître dans tous les cas.
A bientôt. Je t'embrasse.

Écrit par : Marie Claude | 09/10/2021

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