01/04/2024
Symbole, rêve, cerveau
(Photo- Pâques 2024)
Selon une croyance relevant de l’ésotérisme, et que des gens partagent allègrement sur les réseaux, pendant le sommeil notre esprit quitterait le corps pour aller dans des univers parallèles (les rêves), mais en restant attaché par une sorte de fil. Bien entendu, nous n’allons nulle part ailleurs, nous restons dans notre corps, et notre cerveau travaille et dépense de l’énergie. Tout est bien plus complexe qu’une narration fantastique.
Notre psyché possède une faculté symbolisante qui est à la base de toutes les mythologies. Fromm dit que la nature de toutes les expériences humaines est inférée dans un système symbolique. L’effort de l’homme consiste à réaliser l’unité en lui-même, unité de pensée, unité d’action et, le plus difficile, l’unité entre la pensée et l’action. C’est cette force qui détermine ses actes (Abélard la nommait intention et la psychanalyse désir) qui va l’exprimer profondément. Le symbolisme le plus constant, le fondement même de la vision commune à tous les mythes est la lutte entre le bien et le mal, entre les divinités d’une part, les démons et les monstres d’autre part. Transposée sur le plan de la psyché humaine, cette lutte exprime le conflit intime entre les motivations justes et fausses, conflit qui n’est rien d’autre que la délibération intérieure. La vision mythique est donc un produit ancestral de la délibération humaine, et chaque symbole pris à part a pour signification secrète l’un ou l’autre des éléments positifs ou négatifs de cette délibération. La signification profonde d’une action est son intention, le désir qui pousse à l’acte, donc la signification commune à toutes les mythologies, quelle que soit leur façade narrative, va se dévoiler à l’aide d’une préalable étude des motivations. C’est la méthode de déchiffrement des symboles que propose Paul Diel, dont l’apport décisif à la compréhension du langage symbolique et du sens caché des mythes a été souligné par Bachelard (dans la préface au Symbolisme dans la mythologie grecque). L’image divinité est synonyme d’une conscience éthique, qui existe dans le fonctionnement psychique de l’homme. Sur-consciemment, l’homme connaît la loi éthique qui préside la vie et il la projette en des figures surhumaines et surnaturelles, les mythologies devenant ainsi la plus haute manifestation éthique et artistique. Les mythes illustrent la vérité fondamentale que la vie humaine est une lutte et une aventure éthique, le héros mythique est l’homme lui-même qui mène sa lutte intérieure entre le besoin d’équilibre et les passions dévorantes du subconscient. En fait, cela se continue dans le rêve, qui est action et émotion.
On voit bien que le problème du langage symbolique et de sa signification dépasse le niveau individuel et même le niveau social, il concerne le destin évolutif de l’humanité, une symbolique commune sur consciente se trouve à la base des cultures anciennes et modernes. Selon Paul Diel, il n’y a pas de coupure essentielle entre le polythéisme et le monothéisme, mais seulement une évolution du symbole divinité, dans le sens d’une condensation en un Dieu unique, le Bien suprême, et en son adversaire, le Mal. Si l’Etre Dieu existe imaginairement, Dieu symbole existe réellement, immanent à la psyché sur laquelle il exerce un effet émouvant, puisque l’image, nécessairement anthropomorphe doit être émotivement significative. C’est cela qui donne à l’image de Dieu ainsi créée la valeur d’un symbole. Cette analyse psychologique se trouve confirmée par la sagesse linguistique. En nommant l’innommable, le langage l’anthropomorphise. Ainsi, l’esprit humain désigne le mystère par des termes qui expriment la personne, l’Etre, l’Esprit ou la chose, la Substance, l’Essence, l’Un. Il faut donc comprendre l’image mythique comme symbole. Dans la perspective de cette lecture symbolique, la sagesse linguistique (l’ordre du Logos) et la sagesse mythique (l’ordre de l’Etre) expriment les intentions motivantes communes à tous les hommes.
L’expression imagée et symbolique précède la formation des concepts psychologiques qui ont été tous créés à partir de l’introspection, et pour cela il suffit de penser aux hiéroglyphes d’origine et aux multiples sens imagés qu’ils renferment, car, évidemment, si l’homme ne s’était pas penché sur lui-même, il n’aurait pas pu réaliser les analogies entre lui et le monde. Rappelons qu’en sciences cognitives, la théorie de l’esprit désigne le processus cognitif qui permet à un individu de théoriser un état d’esprit chez lui ou un autre, à savoir de reconnaître l’intention, le désir, le jeu, la connaissance. Elle serait donc une puissante prédisposition de l’être humain, basée sur le fonctionnement de modules ou réseaux neuronaux acquis lors de la phylogenèse. Certaines théories mettent l’accent sur l’interaction avec l’environnement dans le développement des capacités d’expression et de reconnaissance des émotions.
Les conflits intra-psychiques sont analogues aux combats extérieurs. Selon la théorie psychanalytique, tous les problèmes vitaux liant l’homme au monde extérieur sont des problèmes psychiques de satisfaction ou d’insatisfaction. Toute l’attention portée au monde extérieur, qu’elle soit perceptive, imaginative ou cognitive est due à l’intention d’obtenir satisfaction (c’est ce que Freud nomme le principe de plaisir qui règle automatiquement l’écoulement des processus psychiques). C’est la recherche de satisfaction qui se trouve à la racine de toutes les intentions motivantes. Dans la perspective des valeurs éthiques que développe Diel, l’amour de vérité et la joie de connaissance sont les manifestations les plus évoluées du besoin biologique de satisfaction.
Le principe de l’existence repose sur la dualité: espace-temps, objet-sujet, monde- psyché, vie-mort, satisfaction-insatisfaction, joie-souffrance, esprit-matière. Diel montre que la vérité profonde de point de vue biogénétique, psychologique, mythique consiste dans un besoin d’harmonie (ou appel de la surconscience éthique) qui se traduit par la nécessité constante de l’homme de s’auto-organiser psychiquement, c’est-à-dire d’élucider le conflit des intentions motivantes. La relation entre l’ordre de l’Etre et l’ordre du Logos est une relation de sens et ce sens est converti dans le symbole.
L’histoire du mot symbole nous donne accès à son essence: du gr symbolon à travers sa transposition latine symbolum, dérivé du verbe symballeïn –mettre ensemble, joindre, réunir, mettre en contact. Le symbole, selon la définition que livre la plupart des érudits, serait la mise en relation, le lien mutuel. C’est chez Platon que l’on trouve le sens primitif du mot chose composée de deux, dans le Banquet, quand Aristophane dit que chacun de nous est un symbole d’homme, car nous sommes coupés à la façon des limandes, d’un être il en résulte deux et chacun cherche toujours son propre symbole. Mais, déjà chez les Grecs symbolon exprimait le signe par rapport à la chose signifiée, et, introduit dans la sphère de la religion, il exprimait les relations entre les hommes et les dieux, relations qui, ne pouvant pas être expliquées, étaient seulement interprétées: les formules initiatiques, les emblèmes portaient le nom de symboles.
Depuis Aristote à l’époque moderne, la première place revient aux choses, la deuxième aux pensées, la troisième aux mots et la dernière à ce qui est écrit. Par nature existent les choses et les pensées, par convention existent les mots et l’écriture, dit Aristote. Stephanus, un des philosophes qui ont commenté, plus de mille ans plus tard, le traité De Interpretatione d’Aristote explique : Il faut qu’il existe d’abord le cheval, par exemple, et ainsi la pensée sur lui, après celle-ci le nom, et après le mot écrit. Quelques deux cents ans avant Stephanus, Amonius d’Alexandrie (qui a eu de nombreux disciples, dont Boèce) a été considéré une autorité pour la compréhension du philosophe grâce à son commentaire au traité De Interpretatione: les pensées doivent être, autant que possible, semblables aux choses, tandis que les mots ne sont plus les similitudes des pensées, mais des symboles et des signes, comme l’écriture est aux mots.
A la fin des années '60, Roland Barthes expliquait que l'image est plus impérative que l'écriture car elle impose sa signification d'un coup, sans l'analyser, sans la disperser. C'est pourquoi, il faut apprendre à lire les images (dont se sert la communication de masse), car elles sont toujours polysémiques, derrière le message apparent, littéral, il y a d'autres sens qui dessinent une sorte de mythologies de notre temps. De façon latente, tout un réseau de significations sous-jacentes, de sens second, des connotations, sont à découvrir. Il faut donc se méfier de l'éloquence de certaines images, car elles nous font croire des choses qui sont le contraire de ce qu'elles démontrent, en fait.
Dans son ouvrage L’Ordre étrange des choses: La vie, les sentiments, et la fabrique de la culture (2017), Antonio Damasio explique pourquoi les images forment la pierre angulaire de la conscience, de la subjectivité. Au cœur de la condition humaine se trouve l’interaction (favorable et défavorable) des sentiments et de la raison, et il nous serait impossible de comprendre les conflits et les contradictions humaines sans tenir compte de cette interaction. Pour comprendre comment les humains peuvent à la fois souffrir, mendier, célébrer la joie de vivre, être philanthropes, artistes et scientifiques, saints et criminels, tour à tour maîtres bienveillants de la terre et monstres cherchant à la détruire, on peut, bien entendu, s’appuyer sur les travaux d’historiens et de sociologues, et également sur les oeuvres d’art qui révèlent la sensibilité et le mécanisme des passions humaines. Mais les branches de la biologie nous apprennent énormément, car les sentiments ne sont pas que les éléments déclencheurs de nos cultures, ils guident également leur évolution.
Avec une image empruntée à Pessoa, l’auteur dit que nous avons en nous une sorte d’orchestre qui fait que les mondes extérieur et intérieur interagissent avec le système nerveux, via les dispositifs sensoriels. Ensuite, que des dispositifs spécifiques régissent émotionnellement à la présence mentale de tout type d’objet ou d’événement: ce sont les besoins, la motivation, les émotions. Pour comprendre la nature et la composition des orchestres intérieurs et de la musique qu’ils jouent, il faudra comprendre le mécanisme de la fabrication des images, puisque l’incroyable richesse de nos processus mentaux repose entièrement sur les images. Celles-ci sont fondées sur les contributions de ces deux mondes, le monde extérieur qui apporte, dans les limites de nos dispositifs sensoriels, des images décrivant la structure de l’univers qui nous entoure, et le monde intérieur qui apporte des images que nous avons coutume d’appeler sentiments.
Simple ou complexe, la fabrication des images est toujours le produit de dispositifs neuraux. Nous percevons les objets et les événements qui nous entourent de manière multi-sensorielle, nos cortex d’association intègrent les images composées dans des cortex fondamentaux. Et les images du monde extérieur sont presque toutes traitées en parallèle avec les réponses affectives que ces mêmes images produisent en agissant dans une autre région cérébrale. Donc notre cerveau cartographie et intègre les diverses sources sensorielles extérieures, il intègre simultanément les états internes -et ce sont les produits de ces processus que l’on nomme sentiments. Nos cerveaux sont capables de prouesses extraordinaires: ils jonglent avec des images appartenant à de multiples catégories sensorielles, d’origines externes et internes, et les transforment en longs métrages cérébraux intégrés. Nos perceptions et les idées qu’elles évoquent s’accompagnent continuellement d’une description en termes de langage, qui est elle aussi élaborée à partir d’images. Tous les mots que nous utilisons, quel que soit le langage -parlé, écrit ou déchiffré via le toucher, comme le braille-, sont des contenus mentaux composés d’images. L’esprit lui-même est entièrement composé d’images, depuis la représentation d’objets et d’événements jusqu'à leurs concepts correspondants et à leurs traductions verbales. Les images sont la monnaie universelle de l’esprit. Autrement dit, l’unité de base de l’esprit est l’image -l’image d’une chose, de ce que peut faire une chose, du sentiment qu’elle évoque.
Le sommeil, qui abrite le rêve, est un phénomène complexe encore mal compris. Il est aujourd'hui possible d’enregistrer avec précision l’activité cérébrale d’un dormeur. Cela permet d’en savoir plus sur les troubles du sommeil, ainsi que sur les rêves ou encore l’apprentissage, et au cours des vingt dernières années, les neuroscientifiques ont affiné leurs connaissances. Les expériences ont montré que les rêves se jouent sur une longue période du sommeil, qu’ils ont bien une connotation globalement négative, ce qui confirme leur utilité et leur rôle cathartique. Les travaux d’imagerie fonctionnelle du cerveau ont identifié les régions-clés qui s’activent pendant le sommeil paradoxal. Parmi celles dont l’activité augmente, on retrouve des régions impliquées dans les émotions (amygdale, gyrus cingulaire antérieur) et dans le traitement des informations visuelles (cortex temporo-occipital). L’analyse de l’activité électrique cérébrale permet d’identifier les ondes associées aux différents stades du sommeil.
Deux états différents de l’état de veille se succèdent: le sommeil profond et le sommeil paradoxal. L’activité onirique n’est pas différente de l’activité de veille, pourtant il existe une différence : l’absence d’informations reçues de l’extérieur. Que ce soit pendant le sommeil profond ou le sommeil paradoxal, le cerveau ne reçoit pas cette avalanche d’informations provenant des organes sensoriels qui caractérise la veille. Il est coupé de l’environnement, il est débranché, off line. Durant la veille, ce sont ces informations que traite le cerveau dans des processus de perception et de conscience. Pour certains chercheurs, des signaux d’origine interne, transmis à partir du bulbe rachidien (le cerveau reptilien), alimentent le cortex qui s’efforce de leur donner un sens. Pour d’autres, c’est le cortex lui-même qui « imagine » ces images, ces idées. Ces manifestations indiquent que le cerveau fonctionne pendant le sommeil et il consomme beaucoup d’énergie. A quoi sert le sommeil ? Une hypothèse ancienne s’impose aujourd'hui: il consolide la mémoire et les apprentissages, il permet aussi d’oublier certaines informations inutiles, ce qui est nécessaire à la mémoire. Selon une théorie largement admise, les informations seraient transférées par les ondes cérébrales du sommeil profond NREM de l’hippocampe (lieu de stockage temporaire) vers le cortex (lieu où elles sont stockées à long terme). Les souvenirs résistent ainsi à l’épreuve du temps. Lorsque nous rêvons, nous ressentons des émotions plus fortes que dans la vie réelle, notamment des émotions négatives (la peur, l’anxiété). Ce phénomène aurait une fonction biologique: il nous aiderait à purger nos émotions trop fortes, ce qui est indispensables à notre équilibre psychique. Selon une autre hypothèse, les rêves nous permettraient de simuler des comportements à adopter en situation de danger.
Ces théories sont confortées indirectement par les données récentes d’imagerie cérébrale, qui renforcent l’idée d’un lien entre rêves et émotions. Durant l’éveil, deux régions particulières du cerveau s’activent en présence de stimuli effrayants: l’amygdale, située dans les profondeurs du cerveau, et le cortex préfrontal médian, situé à l’avant du cerveau. Or, plusieurs études utilisant des méthodes d’imagerie cérébrale ont montré que ces zones ont également une très forte activité pendant le sommeil. De plus, le cortex préfrontal médian joue un rôle dans l’attribution d’intentons à autrui. On peut donc supposer que lorsqu'il s’active, en même temps que l’amygdale, le rêveur confère des pensées et des émotions aux personnages de ses rêves. Le rêveur mettrait ainsi en place une forme de jeu de rôle qui faciliterait la résolution de conflits interpersonnels, comme dans une pièce de théâtre.
C’est pendant le sommeil REM que se produisent les rêves. Nous connaissons la théorie de Freud sur le rêve qui serait une réalisation de nos désirs, théorie qui a dominé la psychiatrie et la psychologie pendant un siècle. Les neurosciences ont permis, de nos jours, l’apparition de théories vérifiables scientifiquement, grâce aussi aux images IRM. Le sommeil REM est une phase caractérisée par une forte activité cérébrale dans les régions des mémoires visuelle, motrice, émotionnelle et autobiographique, et par une désactivation des régions qui contrôlent les pensées rationnelles. Aujourd'hui, on peut prédire la forme globale des rêves (émotionnelle, visuelle, motrice) mais pas exactement le contenu. On sait aussi qu’il est bénéfique pour notre santé mentale de noter sur le papier nos préoccupations, nos émotions, nos pensées, et aussi nos rêves. Ce que l’on sait aujourd'hui, c’est que les rêves ne sont pas une rediffusion de nos vies éveillées, comme une vidéo que nous puissions rembobiner. Le fil conducteur entre nos vies éveillées et nos vies endormies est celui de nos préoccupations émotionnelles. Néanmoins, il ne s’agit pas d’une censure, d’un filtre, pour des éléments cachés, comme dans la théorie de Freud. Les sources des rêves sont transparentes, assez claires pour que nous puissions les identifier et les reconnaître sans avoir recours à un interprète. Le rêve est une thérapie nocturne. Tout comme une ampoule qui éclaire produit aussi de la chaleur, bien que cela soit un produit dérivé de cette opération, de la même manière, l’évolution a permis de construire des circuits neuronaux produisant le sommeil REM, mais aussi les fonctions supportées par ce sommeil REM. Les rêves du sommeil REM effacent les blessures douloureuses suivant des épisodes émotionnels désagréables, voire traumatisants, vécus pendant la journée, et ils offrent ainsi un pansement émotionnel au réveil. Cette thérapie nocturne a deux buts: 1) dormir pour se souvenir des détails d’expériences essentielles pour les intégrer à des connaissances déjà en place, dans une perspective autobiographique et 2) dormir pour oublier, atténuer la charge émotionnelle douloureuse rattachée à certains souvenir
Référence:
Archives CEFRO :
http://www.cefro.pro/archive/2016/01/21/psychologie-et-my...
http://www.cefro.pro/archive/2018/01/25/l-image-l-unite-d...
http://www.cefro.pro/archive/2021/05/24/le-reve-mecanisme...
http://www.cefro.pro/archive/2022/12/28/le-sommeil-et-son...
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