17/04/2015
The Hard Problem
(Photos Nice: le ginkgo du square Wilson en mars)
Notre époque, appelée souvent celle du postmodernisme ou du post-postmodernisme, est l'époque où la philosophie, après s'être concentrée pendant des siècles sur nos représentations du monde, sur la conscience, ou sur les systèmes culturels, se tourne vers le monde réel. Beaucoup des derniers ouvrages philosophiques partent de l'idée que la réalité n'est pas un produit de la conscience, de nos perceptions ou du langage, mais qu'elle existe de manière indépendante: ce n'est pas nous qui faisons le monde, c'est lui qui nous fait.
Les motivations d'une telle perspective réaliste peuvent être aussi bien de nature écologique (le changement climatique est une situation du monde réel, qui demande une transformation physique du monde réel), que politique (la justice est une vérité à défendre, les conditions matérielles et économiques sont importantes, tout comme le traitement physique du corps humain). Des siècles de controverses et de débats ont entretenu le terrain de la réflexion -maîtres, disciples, écoles, théories. Prenons, par exemple, l'empirisme, qui va donner l'empirisme moderne et le pragmatisme. Par sa définition des modes de connaissances dérivés de l'expérience et de la logique qui s'affranchissaient de la Révélation, il était un précurseur de la science moderne, basée sur la méthode expérimentale. Toute connaissance valide et tout plaisir esthétique se fondent sur des faits mesurables, dont on peut extraire les lois générales en allant du concret à l'abstrait (Newton s'inscrit dans ce contexte intellectuel empiriste dont on retrouve les traces dans d'autres domaines que la philosophie -l'épistémologie, la logique, la psychologie, les sciences cognitives, la linguistique..). Mais l'empirisme était redevable aux nominalistes médiévaux (la querelle des universaux), qui se nourrissaient des catégories d'Aristote (la question si les étants généraux ont une existence réelle, ontologique, ou s'ils ne sont que des instruments nous permettant de parler du réel). Si pour Platon la connaissance est une réminiscence, les idées étant là de toute éternité, pour l'empirisme l'esprit est une table rase sur laquelle s'impriment des impressions sensibles.
Plus tard, William James dira que le monde est fait d'objets séparés (disjonctifs), indifférents et détachés les uns des autres, que notre esprit unifie afin de pouvoir agir sur eux (d'où l'importance de la distinction vrai/faux, laquelle, bien que prise au sens relatif, nous permet d'agir sur la réalité, de la modifier, de nous y adapter). Nous créons ou nous découvrons des "lignes de faits" entre les objets différents, des lignes qui sont innombrables et qui ne peuvent être réduites à une seule, à un principe. Il n'y a pas de loi une et éternelle, en tout cas, dans l'état de nos connaissances actuelles, ce principe n'est pas encore disponible.
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25/03/2015
Méditation et thérapie
(Photos Nice: la Promenade des Anglais)
Dans un entretien où il parle de son livre sur l'altruisme, Matthieu Ricard nous rappelle ces paroles de Victor Hugo: "Il n'y a rien de plus puissant qu'une idée dont le temps est venu". Notre époque serait donc celle de l'altruisme, qu'il faudrait introduire dans une économie positive et dans une stratégie environnementale à long terme, et surtout enseigner à l'école, de manière laïque. En Amérique du Nord, des projets pédagogiques consistant à rendre familière aux élèves la pratique de la pleine conscience par la méditation donnent des résultats très positifs: la violence a baissé en proportion de 24%, le comportement social s'est amélioré en proportion de 24%, les bons résultats en maths ont augmenté de 15%, la conduite en classe est devenue meilleure (l'autocontrôle, l'attention, le respect des autres). Dans ces pratiques inspirées de la sagesse orientale il n'est pas question de "religion déguisée", et cela pour la simple raison qu'on n'enseigne pas un dogme religieux. Méditer signifie cultiver des qualités, telles l'attention, l'empathie, la compassion, la liberté intérieure, afin d'entraîner son esprit pour mieux comprendre la réalité, et devenir plus fort face à l'adversité extérieure. Il est évident que l'ouverture d'esprit va faire diminuer le sentiment de peur, de vulnérabilité, d'insécurité, et va augmenter la confiance, le courage, la disponibilité pour les autres. C'est notre vision du monde qui compte, et c'est elle qui impacte la qualité de notre vie.
Les recherches menées ces dernières décennies sur le cerveau ont mis en lumière les rapports entre les émotions, le comportement et l'équilibre neurochimique dans le cortex préfrontal. Récemment, des chercheurs de l'Université de Barkeley ont mis au point une molécule (le Tolcapone) qui imite les effets de la dopamine (l'hormone de la sociabilité) et peut créer une motivation vers des comportements prosociaux, par exemple plus d'équité. Cela montre que l'étude scientifique des problèmes de la nature humaine peut fournir des perspectives intéressantes pour le diagnostic et le traitement des dysfonctions sociales. On a donc observé comment notre aversion à l'égard de l'inégalité est influencée par la chimie de notre cerveau. L'espoir des chercheurs est que des médicaments qui ciblent la fonction sociale pourront être utilisés un jour pour traiter des états handicapants.
La pratique de la pleine conscience (Mindfulness) tient déjà sa promesse dans le traitement de la dépression, la plus tenace maladie mentale: 80% des personnes ayant déjà eu un épisode dépressif vont rechuter. Les médicaments perdent leur effet dans le temps, si des fois ils en ont eu. Cette thérapie basée sur la méditation (Mindfulness Based Cognitive Therapy -MBCT) et introduite par le Dr. Kabat-Zinn dans les hôpitaux aux Etats-Unis, aide à prévenir la rechute. On sait bien que les gens présentant un risque de dépression sont ceux qui ruminent des pensées négatives, des sentiments et des croyances envers eux-mêmes qui les poussent vers la dépression. La MBCT les aide à reconnaître ce qui se passe, en les faisant s'engager dans une voie différente et réagir avec compassion et humeur égale. La pleine conscience consiste à prêter attention à l'expérience du moment présent, en observant les pensées et les émotions sans les juger et sans se laisser attraper par celles-ci. Le but est d'arrêter le vagabondage de l'esprit, et de se concentrer sur sa respiration, en laissant ainsi moins de place pour la rumination. Le Dr. Zindel Segal observe que la méditation a pénétré dans notre culture d'une manière qui aurait paru inconcevable il y a une vingtaine d'années, quand les recherches commençaient à s'y intéresser pour un possible traitement des troubles de l'humeur. Le point fort de cette thérapie bienveillante est qu'elle n'a pas d'effets secondaires. Elle peut aussi accompagner un autre type de thérapie. Les personnes dépressives qui choisissent de la pratiquer activement, comme une alternative intéressante aux médicaments, développent un meilleur sens de l'auto-efficacité, et donc de l'estime de soi.
Aujourd'hui la popularité croissante des techniques de méditation parmi les chercheurs et le public n'est plus à démontrer, mais évidemment, certains pays sont plus avancés par rapport à d'autres: recherches, programmes, projets, thérapies. C'est sans nul doute l'aspect contemporain qui pourrait devenir le plus fédérateur, en alliant la sagesse à la rigueur de la science, et en mettant entre parenthèses les dogmes religieux qui divisent.
Dans cette vidéo, vingt minutes réconfortantes, dans le langage le plus laïc possible, avec Matthieu Ricard, scientifique (Docteur en génétique cellulaire) et moine bouddhiste.
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12/03/2015
Refuser la manipulation
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13/02/2015
Ethique et univers
(Photos Nice: Pâquerettes)
Pour Thomas d'Aquin, le mal est une absence de bien, privatio boni, il dérive d'une perversion du bien. Nous faisons le mal parce que nous désirons le bien, et nous recherchons le bien de mauvaise façon. Le désir qui s'oriente vers le mal ne peut être qu'une perversion du désir, et celui qui convoite le mal le fait à cause d'un défaut, d'un manque dans sa capacité de désirer, une sorte d'infirmité. Pourquoi le mal serait-il donc nécessaire? D'abord, à cause de la constitution de l'homme comme créature, ensuite pour mettre mieux en évidence le bien. Si chaque objet est connu par rapport à son contraire, alors, s'il n'y avait pas de mal, le bien serait connu de façon moins déterminée, et par conséquent serait désiré avec moins d'ardeur. Si le bien doit être reconnu avant d'être désiré, il peut être reconnu avec plus de précision en étant mis en rapport avec le mal. En ce sens, le mal devient une occasion de bien.
Jusqu'à la fin du XVIIIe, la poursuite du bonheur était quelque chose attaché au concept de bien, et aussi le ressort évident de toute action humaine. Pour les Stoïciens le bonheur ou le vrai bien découle directement de la vertu rationnelle -ne pas désirer, c'est être libre. L'adversité n'est pas dans les choses, mais dans le désir qui nous met en conflit avec les choses. C'est dans L'Ethique à Nicomaque que nous pouvons trouver une analyse rigoureuse du lien entre le bonheur et le souverain bien. En observant que "tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d'être heureux", Aristote réfute toutes les positions visant à réduire le bonheur au plaisir, à la richesse, aux honneurs. Pour lui, le bonheur n'est jamais désirable en vue d'autre chose, il est toujours une activité menée conformément à la raison et en accord avec la vertu. En même temps, ce n'est que l'intellect qui délibère, car il permet non seulement d'expliquer une action, mais aussi de la justifier d'un point de vue éthique. D'où l'importance de la sagesse ou de la prudence, qui est pour lui "une disposition accompagnée de règle vraie, capable d'agir dans la sphère de ce qui est bien ou mal pour les êtres humains" (Ethique à Nicomaque, 1143 B 3-4). L'activité propre de l'homme réside dans l'activité de l'âme conforme à la raison, c'est-à-dire à la vertu. C'est pour cette raison que bonheur et vertu sont identifiés: si l'homme réalise son excellence par la vertu, si c'est par elle qu'il atteint sa fin propre, alors c'est elle qui doit être qualifiée de souverain bien.
Pour Spinoza, qui recherche le Souverain Bien capable de se communiquer, le bonheur n'est pas la récompense de la vertu, il est la vertu elle-même.
On comprend ainsi que faire de la poursuite du bonheur un but en soi est une erreur. Il faudrait chercher autre chose que son propre bonheur, par exemple le bonheur d'autrui, l'amélioration de la condition de l'humanité, la justice sociale, aspirer à autre chose qui soit non pas un moyen, mais une fin idéale. Et alors, on découvrirait le bonheur chemin faisant. Peu importe le type d'activité que l'on fait, l'important c'est de placer son intérêt dans une fin idéale.
La philosophie n'est pas que spéculation, elle vise à la sagesse dans sa dimension pratique. Je sais qu'il existe des tentatives de faire du développement personnel à partir d'une doctrine philosophique - appliquer telle ou telle doctrine philosophique dans notre vie. Il y a même des livres qui sont sortis. Je ne trouve en rien cette démarche séduisante, pour la simple raison qu'elle semble ignorer la mise à distance nécessaire pour la pensée, et aussi le rôle de la subjectivité et de l'expérience personnelle. Faire connaître, revisiter les philosophes, les présenter, les faire relire, et dégager ce qui est universel dans les catégories et les concepts, cela oui. Ce serait une démarche utile et respectueuse du raisonnement des individualités du XXIe que nous sommes. Autrement, la philosophie servirait à un autre type d'endoctrinement, lorsqu'elle se veut libératrice.
De récentes découvertes en science laissent supposer que l'univers produit de façon naturelle de la complexité. Les scientifiques essaient de comprendre comment la structure simple de l'univers peut permettre la création de la complexité. L'émergence de la vie en général, et de la vie rationnelle en particulier, associée à sa culture technologique, pourrait être très courante, ce serait une tendance réelle de l'univers d'évoluer de façon prévisible. Le fait de croire que l'univers est structuré pour produire de la complexité en général, et des créatures rationnelles en particulier, n'est pas forcément une croyance religieuse, c'est-à-dire que cela n'implique pas forcément que l'univers a été créé par un Dieu, mais cela suggère que le type de rationalité que nous possédons n'est pas un accident. Il doit y avoir quelque chose de spécifiquement moral concernant les créatures rationnelles et sociales, et dans ce cas, les éventuels extraterrestres intelligents ont dû développer des attitudes similaires à partir de leurs engagements moraux de base. Un tel accord universel pourrait être un système éthique universel.
19:10 Publié dans Blog, Compétences émotionnelles/Emotional Intelligence, Conseil/Consultancy, Cours/Courses, Formation/Training, Ingénierie/Engineering, Livre, Management/Marketing, Public ciblé/Targets, Science, Web | Tags : éthique, bien, mal, désir, bonheur, philosophie, sciences, univers, complexité | Lien permanent | Commentaires (0)