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01/11/2024

La mémoire du blog (I)

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(Photo- Les toits de Nice)

Le site Positive Psychology écrit que le fait d'être seul n’est pas forcément quelque chose de négatif. La solitude est une décision de passer du temps avec soi-même, ce qui est souvent associé à des expériences positives comme la réflexion, la créativité, la paix intérieure. Choisir la solitude peut nous recharger et nous renouveler, en nous offrant l’opportunité de nous reconnecter à nous-mêmes et à notre propre développement. Les études montrent que la solitude choisie réduit le stress et renforce la créativité, en contribuant ainsi à un meilleur équilibre dans notre vie. En revanche, l’isolement est le sentiment d’être isolé, sans avoir fait ce choix. Il peut mener à se couper des autres, il peut éroder l’estime de soi et le sentiment de sa propre valeur. L’isolement chronique peut avoir de graves conséquences sur la santé mentale et physique, en augmentant le risque d’anxiété, de dépression et de maladies cardiaques. Il est important de faire cette distinction entre solitude et isolement, de distinguer entre se sentir bien en étant seul et se sentir isolé, parce que la solitude peut être enrichissante tandis que l’isolement peut abîmer. Dans un monde hyper-connecté comme celui où nous vivons, trouver des moments de solitude peut être un vrai cadeau que nous nous offrons à nous-mêmes pour prospérer mentalement et émotionnellement. 

L'écrivain Haruki Murakami écrit dans l'un de ses romans (Norwegian Wood) que la solitude n'est pas l'absence de gens, mais l'absence de but, de sens. "Quand vous vous trouvez dans un monde où tout parait étranger et lointain, où chaque lien est superficiel, où chaque tentative de comprendre rencontre l'indifférence, vous vous apercevez que la vraie solitude, ce n'est pas être seul mais se sentir seul dans un monde qui ne fait plus sens.". 

Dans une note de 2014 sur le bonheur et la solitude, je rappelais une étude extrêmement intéressante datant de 1996, sur la physiologie de l’ennui, la dépression et la démence sénile. L’hypothèse médicale de N.N. Saunders porte sur le fait que la stimulation mentale assure le sang, l’oxygène et les nutriments nécessaires au cerveau. Cette stimulation peut être intérieure (réflexion) ou extérieure, venant de l’environnement, et que nous percevons à travers nos sens. En l’absence de stimulation, les neurones se rétrécissent et s’atrophient. Ce n’est donc pas une question de diète, ni d’exercice physique, ni d’âge (en Corée du Sud, des 20-30 ans souffrent de Digital Dementia), mais de stimulation.

Voici cette note, avec des références à plusieurs articles sur le sujet:

http://www.cefro.pro/archive/2014/10/17/le-bonheur-et-la-solitude.html  

 

 

01/10/2024

Estime de soi et licenciement

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(Photo- Nice, les couleurs du matin)

Dans un enregistrement vidéo, le psychiatre Christophe André résume les trois composantes principales de l’estime de soi.

En imaginant l’estime de soi comme une sorte de cocktail, on pourra dire que le premier tiers de ce cocktail est la partie qui dépend de nos actions qui la nourrissent, qui l’alimentent, c’est-à-dire faire des choses qui marchent : être bon dans un sport, à son travail, réussir un bricolage, faire pousser des tomates, etc. Tous les petits succès concrets, matériels, nourrissent l’estime de soi. C’est ce qu’on appelle l’agentivité, le sentiment de pouvoir agir sur le monde matériel.

Le deuxième tiers de ce cocktail, c’est le sentiment d’être apprécié par les autres, et cette nourriture de l’estime de soi est capitale. Nous avons besoin de sentir que les autres nous respectent, nous estiment, nous aiment, parfois nous admirent, mais l’admiration n’est qu’un petit bout de ce sentiment de relation positive aux autres. D'après certains chercheurs, l’estime de soi est une nourriture très importante pour le sentiment de relation positive aux autres: le sentiment de popularité, le sentiment de reconnaissance, d’exister aux yeux des autres, d’exister positivement.

La troisième partie du cocktail, c’est l’acceptation inconditionnelle. L’amour inconditionnel de soi. Cela se résume ainsi: quoi que je fasse, même si j’échoue, même si j’ai l’impression que personne ne m’aime, j’ai quand même de la valeur. Je vaux quand même quelque chose et je dois me respecter. Nous avons besoin de toutes ces trois composantes dans notre vie. Quand ça se passe moins bien avec les autres ou quand nous ratons des choses, notre estime de soi se rabougrit un peu, mais il est important d’avoir ce noyau dur et pouvoir se dire: Même mal-aimé, même en échec, ne te jette pas à la poubelle.

J’ai eu l’occasion de réfléchir à nouveau à ces aspects en apprenant la manière dont une grande compagnie organise deux vagues de licenciements, au cours de cette année. La stratégie de la compagnie est justifiée, en soi, disons simplement que, dans un contexte économique peu favorable, ses coûts augmentent et ses bénéfices diminuent, malgré un chiffre d’affaire toujours impressionnant, de l’ordre de plusieurs dizaines de milliards. Et puisque la compagnie ne peut licencier les ouvriers auxquels elle a déjà accordé une augmentation suite à la pression des syndicats, elle met en œuvre un plan qui vise des cadres, quelques milliers de personnes. On introduit des IA, là où cela est possible, mais la quantité de travail sera répercutée en grande partie sur ceux qui vont conserver leur poste. Cela pour le mécanisme. Voici pour la méthode : les cadres (des managers, des chefs de projets) reçoivent par e-mail en début de semaine (lundi) la notification que leur poste va être supprimé en fin de semaine (vendredi). Ils ne sont pas informés ou préparés plus que ça. Bien entendu, tout le monde est au courant depuis quelques mois que tel pourcentage du personnel devra disparaître, mais les positions ne sont pas mentionnées. Dans la plupart des cas, il est question de gens ayant 25-30 années de service dans la compagnie. Bien sûr, ils partent avec plusieurs mois de salaire (ils ont un salaire plutôt confortable) et ils auront une assurance santé prévue pour cette situation intermédiaire, avant de pouvoir retrouver un emploi.

Mais je ne peux m’empêcher de penser que la méthode est assez brutale, et que ces cadres, bien que normalement résilients ou aguerris, car formés dans un environnement compétitif par définition, devront avoir une forte estime de soi pour mobiliser leurs forces, se remettre en condition et proposer (lire vendre) leurs compétences. Ils trouveront vite, me rassure-t-on, le marché du travail en question est extrêmement dynamique, le chômage n’est pas élevé, l’optimisme est la règle…

Sur l’estime de soi, cette note de l’année dernière :

http://www.cefro.pro/archive/2023/04/27/l-estime-de-soi-6...

01/09/2024

"Quand dire, c'est faire"

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(Photo -Nice en août)

 

Les Editions du Seuil ont publié en 2024 la nouvelle édition d’un texte philosophique important qui est considéré comme troisième livre de philosophie anglo-saxonne de l’après-guerre. La première édition de 1962 de How to Do Things with Words a été traduite et publiée aux Editions du Seuil dès 1970, ensuite reprise en 1991 dans la collection de poche Points

La nouvelle édition française, basée sur la seconde édition anglaise de 1975, résume dans son Introduction l’histoire de ce texte dont l’influence a été décisive en linguistique et en philosophie du langage, mais également dans d’autres domaines qui s’interrogent sur les actes de parole et leur fonctionnement d’un point de vue grammatical, sémantique, pragmatique : les sciences sociales, les études de genre, les études théâtrales, les études cinématographiques, la psychanalyse, la critique littéraire, la sociologie (des travaux sur l’efficacité du langage dans le champ politique), l’anthropologie, et même l’économie et les sciences de gestion. Les idées d’Austin, conjointes avec la philosophie de Wittgenstein, ont bouleversé en profondeur la philosophie du langage. Austin n’a jamais publié ce livre, en tant que tel, il a été emporté par un cancer à 49 ans, sans mener à terme ses projets intellectuels. Ce livre est composé des conférences et des cours donnés à Harvard et à Oxford, d’un ensemble de notes et de feuillets, rédigés à des dates différentes. 

Austin invite à une analyse proprement pragmatique du fonctionnement du langage : il ne faut pas se réduire à analyser ce que le langage dit, mais il faut se consacrer, d’abord et avant tout, à comprendre les différentes choses qu’il fait. Avant d’étudier le contenu d’un discours intellectuel, il faut d’abord considérer sa force illocutoire et ce qu’il sert à produire dans son contexte d’énonciation mais aussi dans son contexte, potentiellement différent, de réception. 

Je suis heureuse de redécouvrir ce texte qui me renvoie à mes années universitaires (puisque j’ai étudié la littérature française, je l’ai connu à travers Emile Benveniste et Oswald Ducrot, ceux qui avaient repris en France les idées d’Austin en linguistique et en pragmatique). Plus tard, j’ai utilisé cet outil dans l’analyse du discours qui a fait l’objet de ma Thèse (La Rhétorique de la Passion dans le roman médiéval), sur la parole performante qui édifie l’être. Pour cette note de CEFRO, j'ai réuni quelques extraits de mon travail personnel de recherche dans un document PDF que vous pouvez lire ICI.

 

 

 

 

 

 

 

 

01/03/2024

Notre cerveau et la spiritualité

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(Photo- Nice, amandier en fleur)

Dans son célèbre ouvrage Das Heilige, 1917/Le Sacré, Paris, Payot, 1949, Rudolf Otto, théologien et philosophe allemand, décrit le sacré comme une catégorie importante de la conscience humaine composée d’éléments rationnels et non-rationnels. Au-dessus et au-delà de notre être, il existe, caché au fond de notre nature, un élément dernier et suprême qui ne trouve pas satisfaction dans l’assouvissement et l’apaisement des besoins répondant aux tendances et aux exigences de notre vie psychique, physique, spirituelle. C’est le tréfonds de l’âme, là où se cache cette connaissance a priori qui est l’expérience numineuse, une expérience terrifiante et irrationnelle, provoquée par un aspect de puissance divine. Le numineux se singularise comme quelque chose de tout autre, de radicalement différent, il ne ressemble à rien d’humain ou de cosmique, et à son égard, l’homme a le sentiment de sa profonde nullité (Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, Editions Gallimard, 1957).

Otto analyse cette catégorie en termes d’éléments rationnels et non-rationnels: le mysterium tremendum, l’élément répulsif du numineux, qui se schématise par les idées de justice, de volonté morale - la sainte colère de Dieu, dont parle l’Ecriture -et le mysterium fascinans, l’élément captivant, qui se schématise par la bonté, la miséricorde, l’amour, la grâce. Le rationnel qui se trouve dans le sacré (le divin) est ce qui peut être traduit en concepts, ce qui peut être mis en langage. Le non-rationnel est impossible à faire passer de l’obscurité du sentiment dans le domaine de la compréhension conceptuelle, sinon au moyen d’images et d’analogies. L’invisible, l’éternel (le non-temporel), le surnaturel, le transcendant ne sont que de simples idéogrammes qui indiquent le contenu du sentiment en question, mais pour comprendre, il faut avoir éprouvé l’expérience numineuse, c’est-à-dire avoir rencontré un des moyens d’expression du sacré, tels l’effrayant, le hideux, le terrible, ou au niveau supérieur, le grandiose, le sublime. Dans son ouvrage bien connu Le Sacré et le Profane, Eliade montre que l’homme a une disposition propre à se rapporter au Centre du monde, point fixe dans le chaos, en reconnaissant un espace sacré, dont il déchiffre les hiérophanies. Eliade considère aussi que le sacré et le profane sont deux modalités d’être dans le monde, deux situations existentielles vécues par l’homme au long de son histoire. Il analyse l’expérience de cet espace telle qu’elle est vécue par l’homme non-religieux, qui refuse la sacralité du monde, qui assume uniquement une existence profane, purifiée de toute présupposition religieuse, et il montre qu’une telle existence profane à l’état pur ne se rencontre jamais. Quel que soit le degré de la désacralisation du monde auquel il arrive, l’homme ne réussit pas à abolir complètement le comportement religieux, l’existence la plus désacralisée conserve encore des traces d’une valorisation religieuse du Monde.

Le sentiment du sacré naît donc de la crainte et de l’émerveillement, et de ces émotions fondamentales ont surgi l’étonnement, puis le questionnement, marquant ainsi le commencement de la grande aventure philosophique et spirituelle de l’humanité, écrit Frédéric Lenoir dans son récent ouvrage L’Odyssée  du sacré, Editions Albin Michel, 2024. Il rappelle que, dès son apparition, l’homo sapiens organise des rituels funéraires en gravant sur les parois des cavernes des scènes symboliques qui évoquent une forme de religiosité liée à la nature. L’être humain reste le seul qui ritualise la mort et qui organise sa vie en fonction de croyances en un monde invisible peuplé d’entités supérieures, le seul qui a développé une pensée symbolique, un langage abstrait et a créé des mythes fondateurs et collectifs. Il est un animal politique, et aussi religieux et spirituel.

En faisant la distinction entre croyance et religion/spiritualité (nous croyons à ce que nous dit la science), l’auteur énumère les moments-clés dans l’évolution de l’humanité. Le passage du Paléolithique au Néolithique, lorsque sapiens se sédentarise et rend un culte aux ancêtres, aux dieux et aux déesses de la cité est un premier tournant. Un deuxième est l’invention de l’écriture et la formation des civilisations, la naissance des grandes religions polythéistes, avec l’avènement des codes moraux et du patriarcat et l’apparition des récits mythiques. L’âge axial de l’humanité vient vers le milieu du premier millénaire avant notre ère, avec une véritable révolution liée au développement de la conscience individuelle et de la raison critique dans les couches cultivées de la population. C’est l’époque des grandes écoles de sagesse en Grèce, du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme, jusqu'à plus tard Jésus et Muhammad au Proche-Orient. Le dernier tournant historique est celui de la modernité à partir de la Renaissance qui bouleverse les modes de vie des humains, par le progrès de l’individualisation, de la globalisation du monde, du développement de l’esprit critique, d’où naîtront la science, le capitalisme et la technologie. 

Les derniers bouleversements ont un impact décisif sur la spiritualité et la religion: sécularisation, atomisation du croire, spiritualité à la carte, mais aussi réactions religieuses identitaires et nouvelle quête de certitudes. Pour l’auteur, nous assistons peut-être à un cinquième grand tournant de l’humanité, avec la crise écologique et le bouleversement de nos modes de vie, liés à l’ère des nouvelles technologies de communication, à l’Intelligence artificielle, au transhumanisme. Quelles peuvent être les conséquences de cette nouvelle révolution culturelle et sociale sur notre manière de concevoir et de vivre le sacré ? se demande l’auteur, qui se penche aussi sur les découvertes de la psychologie cognitive et des neurosciences pour voir ce qu’elles nous apprennent sur le lien entre notre cerveau et les croyances ou les expressions religieuses et spirituelles.

Il est probable que la spiritualité, sous toutes ses formes, ne disparaîtra pas puisque notre cerveau est programmé pour trouver des remèdes contre l’incertitude (l’autonomie, la maîtrise, le contrôle) et pour essayer de donner du sens à l’existence. Selon Thierry Ripoll, professeur de psychologie cognitive cité dans l’ouvrage, notre besoin de croire malgré l’absence de preuves s’explique par le besoin de trouver une explication satisfaisante du sens de la vie. Des chercheurs canadiens ont, eux aussi, développé la théorie de la religion comme moyen de compenser le sentiment de perte de contrôle, les hommes ont besoin d’avoir soit un contrôle personnel sur leur vie soit un contrôle externe (Dieu, un gourou, une instance régulatrice supérieure). L’engagement religieux apparaît ainsi comme une réponse au stress existentiel et comme garant de l’équilibre psychique interne.  C’est pourquoi on pourrait dire, comme Thierry Ripoll, que l’humanité restera toujours religieuse parce que notre système cognitif produit de la croyance et que cela a des avantages au niveau individuel : Elle est un puissant anxiolytique, elle donne sens à la vie, elle fournit un horizon spirituellement magnifique, elle garantit une forme de vie après la mort, elle permet parfois de ressentir une véritable relation d’amour entre soi et Dieu. Il est vrai, dit le professeur de psychologie cognitive, que la pensée religieuse nous prive de la vision d’un univers complexe et nous offre une représentation de Dieu dégradante en raison de son anthropomorphisation, mais, d’autre part, l’athéisme ne propose aucun avantage individuel: En plus d’être contre-intuitif, il est conceptuellement complexe, existentiellement insupportable et émotionnellement douloureux. La solution serait que chacun arrive à développer son système analytique, donc la raison, afin que ce système l’emporte sur le système intuitif: La formation à la recherche scientifique est le meilleur antidote à l’ensemble des croyances.

Pour le psychiatre Boris Cyrulnik, la religion est un phénomène culturel, relationnel et social, tandis que la spiritualité est un prodige intime qui ne disparaîtra pas car elle donne une forme verbale précise à nos préoccupations profondes: notre filiation, notre destin sur terre et après la mort. Elle a émergé de la rencontre entre un cerveau capable de se représenter un monde totalement absent et un contexte culturel qui donnait forme à cette dimension de l’esprit. C’est pourquoi, la spiritualité est universelle, intemporelle et inhérente à la condition humaine. Il est possible que de nouvelles formes de spiritualités émergent, observe-t-il, en réaction au carcan religieux, mais toujours des manières de se relier au sacré pour gagner en conscience et trouver un chemin de croissance de l’être personnel.

 

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