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01/08/2018

La littérature, toujours

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(Photo- Fleurs de cactus, Beaulieu)
 
On ne peut pas vivre mal. C'est une contradiction. (Eugène IONESCO, Le Roi se meurt)
 
Tout le monde chasse au bonheur. On peut être heureux partout. Il y a seulement des endroits où il semble qu'on peut l'être plus facilement qu'à d'autres. Cette facilité n'est qu'illusoire: ces endroits soi-disant privilégiés sont généralement beaux, et il est de fait que le bonheur a besoin de beauté, mais il est souvent le produit d'éléments simples. Celui qui n'est pas capable de faire son bonheur avec la simplicité ne réussira que rarement à le faire, et à le faire durablement, avec l'extrême beauté. On entend souvent dire: "Si j'avais ceci, si j'avais cela, je serai heureux", et l'on prend l'habitude de croire que le bonheur réside dans le futur et ne vit qu'en conditions exceptionnelles. Le bonheur habite le présent, et le plus quotidien des présents. Il faut dire: "J'ai ceci, j'ai cela, je suis heureux." Et même dire: "Malgré ceci et malgré cela, je suis heureux." Les éléments du bonheur sont simples, et ils sont gratuits, pour l'essentiel." (Jean GIONO, La chasse au bonheur)
 
Il y a sur terre de telles immensités de misère, de détresse, de gêne et d'horreur, que l'homme heureux n'y peut songer sans prendre honte de son bonheur. Et pourtant ne peut rien pour le bonheur d'autrui celui qui ne sait être heureux lui-même. Je sens en moi l'impérieuse obligation d'être heureux." (André GIDE, Les Nourritures terrestres -Les Nouvelles Nourritures)
 
Les sages d'autrefois cherchaient le bonheur; non pas le bonheur du voisin, mais leur bonheur propre. Les sages d'aujourd'hui s'accordent à enseigner que le bonheur propre n'est pas une noble chose à chercher, les uns s'exerçant à dire que la vertu méprise le bonheur (...); les autres enseignant que le commun bonheur est la vraie source du bonheur propre, ce qui est sans doute l'opinion la plus creuse de toutes, car il n'y a point d'occupation plus vaine que de verser du bonheur dans les gens autour comme dans des outres percées; j'ai observé que ceux qui s'ennuient d'eux-mêmes, on ne peut point les amuser; et au contraire, à ceux qui ne mendient point, c'est à ceux-là que l'on peut donner quelque chose, par exemple la musique à celui qui s'est fait musicien. Bref il ne sert point de semer dans le sable; et je crois avoir compris, en y pensant assez, la célèbre parabole du semeur, qui juge incapables de recevoir ceux qui manquent de tout. Qui est puissant et heureux par soi sera donc heureux et puissant par les autres encore plus. (...) Il faut vouloir être heureux et y mettre du sien. Si l'on reste dans la position du spectateur impartial, laissant seulement entrée au bonheur et portes ouvertes, c'est la tristesse qui entrera. (...) Il n'est pas difficile d'être malheureux ou mécontent; il suffit de s'asseoir, comme fait un prince qui attend qu'on l'amuse; (...) Ce que l'on n'a point assez dit, c'est que c'est un devoir aussi envers les autres que d'être heureux. (...) Tout homme et toute femme devraient penser continuellement à ceci que le bonheur, j'entends celui que l'on conquiert pour soi, est l'offrande la plus belle et la plus généreuse. J'irais même jusqu'à proposer quelque couronne civique pour récompenser les hommes qui auraient pris le parti d'être heureux. (ALAIN, Propos sur le bonheur)
 
 
Extraits de:
 
1,2,3...bonheur! Le bonheur en littérature, Editions Gallimard, 2006, Coll.Folio
 
Eugène IONESCO, Le Roi se meurt, Editions Hatier, 1985

02/07/2018

Pour une relecture (2)

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(Photo- La mer à Juan-les-Pins)

 

CEFRO vous propose trois notes antérieures:

Re (Lectures) sur la volonté

Le courage de changer (1)

Le courage de changer (2)

 

et un article qui résume certaines des connaissances actuelles sur l’empathie, paru dans Les Echos : L’empathie, une affaire de biologie 

01/06/2018

Le besoin de narration

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(Photo- Dans la bibliothèque de Greenville

Le récit est essentiel à toute société humaine et les théoriciens évolutionnistes essaient de comprendre pourquoi. L’approche littéraire évolutionniste a montré que l’on pouvait retrouver beaucoup d’éléments communs à l’intrigue dans les machinations de nos cousins primates, les bonobos. La plus ancienne ouvre littéraire connue est l’Epopée de Gilgamesh, gravée sur des tablettes babyloniennes il y a 4.000 ans. Ce qui est surprenant, c’est qu’elle soit lue encore de nos jours et que certains de ses éléments de base, comme la romance masculine, puissent se retrouver dans beaucoup de récits populaires depuis. Les spécialistes du « Darwinisme littéraire » se demandent ce qui fait une bonne fiction, et pourquoi certains récits, de « L’Odyssée » à « Harry Potter », ont un tel succès populaire. Les peintures rupestres dans la grotte Chauvet et la grotte de Lascaux, en France, il y a 30.000 ans, décrivent des scènes dramatiques qui devaient être probablement accompagnés d’un récit oral.

Le besoin de narration et même la dépendance à la fiction sont à ce jour scrutés dans une perspective neurocognitive, comportementale. Le biologique, le psychologique, le social sont interdépendants. L’homme se distingue de l’animal par sa capacité à raconter des histoires, la narration étant la plus puissante forme de communication. Notre cerveau fonctionne comme un mécanisme narratif. Les psychologues et les théoriciens littéraires ont identifié un nombre de bénéfices attribués à la dépendance narrative. L’idée unanimement acceptée est que la narration est une forme du jeu cognitif qui aiguise notre esprit, en nous permettant de simuler la réalité autour de nous et d’imaginer des stratégies, particulièrement dans des situations sociales. Le récit nous apprend des choses sur les autres, il est également un exercice d’empathie et de la théorie de l’esprit. Les images du cerveau ont montré que l’écoute ou la lecture de récits activaient des régions du cortex impliquées dans le traitement des informations sociales et émotionnelles. Plus on lit de la fiction, meilleure sera notre empathie envers les autres.

Dans son livre Pourquoi lire les classiques?, Italo Calvino explique que ces lectures peuvent avoir, dans la jeunesse, des vertus formatrices parce qu’elles donnent une forme à nos expérience futures, « en leur fournissant des modèles, des termes de comparaison, des schémas de classification, des échelles de valeur, des paradigmes de beauté ». Ces relectures, à l’âge mûr, nous permettent de retrouver ces constantes qui font partie de nos mécanismes intérieurs. Il finit son article, qui est un beau plaidoyer pour la lecture, en citant Cioran : « Alors qu’on préparait la ciguë, Socrate était en train d’apprendre un air de flûte. "A quoi cela servira-t-il ? lui demanda-t-on. – A savoir cet air avant de mourir.’’ » (Des extraits dans ce document PDF).

 

Références: Our fiction addiction

Les bons récits

Psychologie et mythologie 

Le récit, c'est la vie

Activité Erasmus+

06/04/2018

Angoisse et défense

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(Photo- à Nice, le 1er avril)

La psychologie (la thérapie) existentielle s’occupe d’un certain type de conflit qui survient lorsque l’individu prend conscience des enjeux ultimes de l’existence : la mort, la liberté, l’isolement fondamental, l’absence de sens. Confrontés à ces questions, nous souffrons tous d’un certain niveau d’angoisse, nous partageons une souffrance commune, propre à la condition humaine, mais certains y sont exposés plus que d’autres. La littérature et la philosophie, qui se penchent depuis des millénaires sur ces grandes questions, peuvent nous aider, la thérapie aussi parfois, dans la mesure où elle repose sur l’empathie et sur une relation de communication authentique. Mais surtout ce qui nous vient de l’extérieur de nous-même et nous permet de sortir de nous-même  -dit Irvin Yalom, psychiatre américain, auteur de Existential Psychotherapy, ouvrage publié en 1980 et traduit récemment en français. Il n’existe que deux manières de se confronter aux enjeux existentiels: l’angoisse (suscitée par la vérité) ou le déni, dilemme bien résumé par Cervantes qui fait dire à Don Quichotte : « Que préférez-vous, la folie du sage ou la sagesse du fou ? ». Le propre de la psychologie/la thérapie existentielle consiste à rejeter ce dilemme : la sagesse ne conduit pas à la folie, ni le déni à la santé mentale. Pour douloureuse qu’elle soit, la confrontation aux fondamentaux de l’existence se révèle être thérapeutique  - explique-t-il dans l’Introduction. A l’ancienne formule (freudienne) : Pulsion > angoisse > mécanisme de défense se substitue l’équation : Conscience des enjeux ultimes > angoisse > mécanisme de défense. (Thérapie existentielle

En se fixant pour cadre le point de vue de la psychologie existentielle, ce livre récent qui traite du harcèlement fusionnel explique pourquoi et comment l’adulte dépendant affectif cherche à dénier ses angoisses par un mécanisme de défense: la fusion avec autrui. Psychologue clinicien, l'auteur a été conduit par ses propres recherches cliniques à identifier les quatre grands comportements de l’adulte fusionnel: immaturité (l’immaturité psycho-affective, la personnalité dépendante), effacement (le refus de grandir, le rejet des caractéristiques de l’adulte), passivité (le refus de s’affirmer, la dévalorisation), dépendance (le refus d’agir, l’évitement de la décision, de l’action, l’auto-sabotage). A la différence du harcèlement moral, selon lequel s’affrontent un harceleur et une ou plusieurs victimes, le harcèlement fusionnel peut être défini comme un ensemble de comportements répétés d’agrippement, d’accaparement et de dépendance par lesquels un adulte force une autre personne à le prendre en charge, ce qui entraîne chez celle-ci une déstabilisation affective et psychologique. En guise de présentation, voici une sélection d’extraits dans ce document

Plus d’informations sur Irvin Yalom et la psychologie /la thérapie existentielle dans cette interview de Psychologies, et sur le site de l’auteur, dont ses interviews.

Comme d'autres grands esprits, et dans une existence assez brève, Spinoza a trouvé du sens à la vie et a marqué l'histoire de la pensée. "Spinoza est un point crucial dans la philosophie moderne. L'alternative est: Spinoza ou pas de philosophie..."(Hegel).

 "Je résolus de chercher s'il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l'âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine." (Spinoza, Traité de la réforme de l'entendement). 

Tout ce que nous faisons doit servir à l'avancement et à l'amélioration, dit Spinoza. L'âme, la raison, la connaissance, les émotions et le corps, tout doit nous amener vers la Joie. "Qui se connaît lui-même et connaît ses affections clairement et distinctement, est joyeux." (La note de CEFRO Emotions et connaissance (2014)