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01/08/2022

Archives (La fiction comme thérapie)

nnarration,fiction,cerveau,thérapie

(Photo- Nice, coucher de soleil sur la Promenade des Anglais)

 

La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas. (Pessoa)

La littérature : un coup de hache dans la mer gelée qui est en nous. (Kafka)

Ne lisez pas comme les enfants lisent, pour vous amuser, ni comme les ambitieux lisent, pour vous instruire. Non. Lisez pour vivre. (Flaubert)

Pour ce second mois de vacances, je vous propose la relecture d'une note de 2015: 

http://www.cefro.pro/archive/2015/06/14/la-fiction-comme-therapie.html

01/04/2022

Nous vivons dans une réalité commune

technologie,interprétation information,biais cognitifs,philosophie,orwell

(Photo- A Paris Mountain State Park, Greenville SC, novembre 2021)

Dans une conférence TED en avril 2017, Michael Patrick Lynch, professeur de philosophie à l’Université de Connecticut et directeur de l’Université de Sciences humaines de Connecticut, connu pour sa théorie pluraliste de la vérité, parle de la polarisation du savoir. Il ne s’agit pas d’un problème d’ordre technologique, explique-t-il, mais d’un problème humain, qui relève de notre façon de penser et de notre système de valeurs. 

Vous trouverez cette vidéo en ligne. J’aimerais rappeler son argumentaire en ces jours où, après une pandémie de deux ans qui a polarisé les esprits, nous sommes confrontés à une guerre aux portes de l’Europe, à l’invasion de l’Ukraine, Etat indépendant, par la Russie. Une guerre qui, malgré les villes bombardées, les milliers de morts, les millions de réfugiés en Europe en l’espace de trois semaines, polarise quand même les esprits. Et ce n’est pas qu’une question de propagande.

L'auteur explique pourquoi la présence d'une puce dans notre cerveau qui nous permettrait de transférer et télécharger depuis internet à la vitesse de la pensée, c’est-à-dire qui nous permettrait un accès rapide à l'information, ne nous rendra pas pour autant plus aptes à évaluer cette information. Au contraire, nous aurions besoin de plus de temps pour l’évaluer et distinguer le vrai du faux. Nous savons davantage mais nous comprenons moins. Nous vivons dans des bulles isolées, nous sommes polarisés, par rapport aux faits et par rapports à nos valeurs. En plus, la plupart des informations que nous recevons sont personnalisées, ce qui finit par gonfler nos bulles plutôt que de les faire éclater.

Une tactique est d’essayer de corriger notre technologie afin de rendre nos plateformes digitales moins sujettes à la polarisation, et c’est sur quoi Google et Facebook travaillent déjà. Mais le problème technologique ne résoudra pas la polarisation du savoir. Nous avons besoin de l’aide de la psychologie et de la philosophie, de la science politique aussi, afin de nous reconnecter à une idée fondamentale, celle que nous vivons dans une réalité commune. Et pour cela nous devons faire trois choses.

Premièrement, nous devons croire en la vérité. Mais nous avons des biais, et notre propre point de vue. La question de la vérité est déjà un sujet philosophique en soi (Protagoras disait que l’homme est la mesure de toute chose, c’est-à-dire que chacun peut créer sa propre vérité). Bien qu’en pratique nous soyons d’accord sur toutes sortes de faits, nous sommes aussi sceptiques au sujet de la vérité, car cela nous permet de rationaliser nos propres biais, ce que illustre bien le phénomène des fake news.

Ce qui est dangereux avec le scepticisme est qu’il mène au despotisme. Dans « 1984 » d’Orwell, le policier de la pensée O’Brian torture le personnage Winston Smith pour lui faite admettre que deux et deux font cinq. Il veut convaincre Smith que tout ce que dit le parti est la vérité, et la vérité est tout ce que le parti dit. Ce que O’Brian sait est qu’une fois que cette vérité est acceptée, la critique dissidente devient impossible. Vous ne pouvez dire la vérité au pouvoir si le pouvoir dit la vérité par définition.

Deuxièmement, nous devons avoir le courage de savoir, de nous servir de notre propre entendement. Sapere aude (Aie le courage de savoir), la phrase qu’a utilisée Kant comme devise des Lumières. Il est vrai que Google représente un outil formidable, une forme d’externalisation intellectuelle. [La mémoire transactive est un système partagé permettant d’encoder, de stocker et de partager de manière sélective les informations nécessaires à la réalisation d’un travail commun, Wegner, Erber & Raymond, 1991]. Mais il y a une différence entre télécharger une série de faits et comprendre comment ou pourquoi les faits sont ainsi. Cela nécessite de réaliser un travail sur soi-même, d’être créatif, d’utiliser son imagination, d’aller sur le terrain, d’expérimenter, de tirer des preuves, de parler à quelqu'un, ce qui signifie encourager des formes de savoir plus actives au lieu de limiter nos efforts à notre bulle. 

Troisièmement, nous devons avoir un peu d’humilité, une humilité épistémique, c’est-à-dire savoir que nous ne savons pas tout, et aussi que notre vision du monde est ouverte au progrès à travers les épreuves et les expériences des autres. Le fait de considérer que notre propre savoir peut être enrichi et approfondi par ce que les autres y apportent est bien plus qu’être ouvert au changement ou au développement personnel. Car nous partageons une réalité commune dont nous sommes tous responsables. Notre société n’est pas trop douée pour faire progresser ou encourager cette forme d’humilité. Nous avons tendance à confondre arrogance et confiance, l’arrogance étant plus facile, mais c’est un autre exemple de mauvaise foi envers la vérité. 

Le concept d’une réalité commune est un concept philosophique important. Les démocraties ne peuvent fonctionner si les citoyens n’aspirent pas, au moins parfois, à occuper un espace commun, où ils peuvent s’échanger des idées quand ils ne sont pas d’accord. Mais nous ne pouvons pas aspirer à occuper cet espace si nous n’acceptons pas d’abord que nous vivons dans la même réalité.

Parce que l’auteur rappelle dans sa conférence l’ouvrage d’Orwell, voici plus loin quelques extraits que j’ai choisis dans l’exemplaire de 1984 qui ne peut être absent de ma bibliothèque. Ce monde-là, je le connais et je m’en souviens aujourd'hui, grâce à Monsieur Poutine.

C’est O’Brian qui parle, le policier de la pensée.

 Tel est le monde que nous préparons, Winston. Un monde où les victoires succéderont aux victoires et les triomphes aux triomphes; un monde d’éternelle pression, toujours renouvelée, sur la fibre de la puissance. Vous commencez, je le vois, à réaliser ce que sera ce monde, mais à la fin, vous ferez plus que le comprendre. Vous l’accepterez, vous l’accueillerez avec joie, vous en demanderez une part. (…) Nous commandons à la vie, Winston. A tous les niveaux. Vous vous imaginez qu’il y a quelque chose qui s’appelle la nature humaine qui sera outragé par ce que nous faisons et se retournera contre nous. Mais nous créons la nature humaine. L’homme est infiniment malléable. Peut-être revenez-vous à votre ancienne idée que les prolétaires ou les esclaves se soulèveront et nous renverseront ? Otez-vous cela de l’esprit. Ils sont aussi impuissants que des animaux. L’humanité, c’est le Parti. Les autres sont extérieurs, en dehors de la question. 

(...) Il ne pouvait lutter plus longtemps contre le Parti. En outre, le Parti avait raison. Il devait en être ainsi. Comment pouvait se tromper un cerveau immortel et collectif ? D'après quel modèle extérieur pourrait-on vérifier ses jugements ? La santé était du domaine des statistiques. Apprendre à penser comme ils pensaient était simplement une question d’étude. Mais !...Entre ses doigts le crayon était épais, peu maniable. Il se mit à écrire les idées qui lui passaient par la tête. Il écrivit d’abord, en grandes majuscules mal faites :

 LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE

 Puis, presque sans s’arrêter, il écrivit en dessous :

 DEUX ET DEUX FONT CINQ »

 (George Orwell, 1984, Editions Gallimard, 1950)

 

Archives CEFRO 

 La mémoire (2) 

 

 

01/02/2022

Le travail: des routines brisées, un nouveau sens

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(Photo- Vers l'Aéroport international d'Atlanta, décembre 2021, sous une pluie battante)

Le paradigme de la passion du travail (Passion Paradigm) est apparu dans les années ’60, comme une réponse à un tas d’interrogations sur les normes sociales et culturelles, notamment parmi les jeunes, et il désigne une nouvelle manière de penser le rôle du travail dans la vie. Le psychologue humaniste Abraham Maslow avait appliqué sa théorie de la hiérarchie des besoins au travail, en considérant celui-ci comme la clé de l’épanouissement personnel et de la réalisation de soi. Maslow imaginait un monde où les individus trouvent une grande satisfaction dans leur travail, qui devient une activité sacrée. Les expériences émotionnelles qui entrent dans la passion du travail sont l’attirance, le plaisir, la motivation, la persévérance.

Bien entendu, le paradigme de la passion du travail a aussi ses parts d’ombre. Aimer son travail serait une recette pour se laisser exploiter. Une nouvelle religion fait son apparition: le culte du travail (workisme), responsable du burn-out et de la dépression, même parmi les employés le mieux payés. Les travailleurs sont amenés à accepter des conditions de travail nuisibles, un traitement médiocre de la part de leurs employeurs, et ont des attentes irréalistes d’eux-mêmes. Ils accordent la priorité au travail au détriment de leur famille, de leurs amis ou de leurs hobbies. Une surévaluation du travail fait regarder les autres qui ne travaillent pas comme paresseux, stupides ou pas dignes d’attention.

La pandémie de la Covid-19 a provoqué des mutations dans le monde du travail : les routines ont été brisées, et nous assistons au phénomène appelé la Grande démission (the Great Resignation).

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01/01/2022

De la musique avant toute chose

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(Photo- Greenville SC, novembre-décembre 2021)

Bonne Année 2022! 

Il y a quelques jours, j’ai revu à la télévision (pour la combientième fois, déjà ?) le merveilleux film de Spielberg, E.T., l’extra-terrestre (1982). Vous vous souvenez, la communication entre la petite créature et Elliot se fait à travers les émotions, et non le langage: ET ressent ce que Elliot ressent. Le film figurait parmi les choix affichés dans le vol transcontinental aller-retour Lufthansa que j’ai pris en cette fin d’année inespérée 2021 (une semaine après l’ouverture des frontières aux Etats-Unis). Mais je n’avais regardé aucun film durant le vol. Mon niveau d’anxiété avait augmenté dès que je m’étais aperçue que j'avais oublié les inoffensifs cachets pour calmer l’emballement de mon cœur. Il fallait faire sans. De Francfort à Atlanta, j’ai écouté en boucle les programmes de Well Being TV (nouveau à bord) : Mindful Earth, Inflight Meditation, My Zen, Relaxation, Visualization, A world of Calm. Au retour, plus de trois semaines après, toujours sans les petits cachets, j’ai passé les huit heures de voyage au-dessus de l’Atlantique sans fermer l’œil et à écouter en boucle Mozart, Symphonie concertante (Sinfonia concertante), Concert pour violon et orchestre KV:219, K 364. Pendant les deux voyages, j’ai choisi d’écouter de la musique, plutôt que de regarder des images et d’entrer dans une histoire, et cela a fonctionné.  

Un récent livre paru dans la collection Les médecines holistiques en pratique consacre un petit chapitre à la musique, qui « panse » les neurones. La musique est associée à un ensemble de réseaux neuronaux qu’elle synchronise, ce qui fait que tout le cerveau est concerné. Elle permet, entre autres, de partager des informations avec autrui, en offrant un moyen d’échange avec les autres sans le langage (ce qu’exploite la musicothérapie). On connaissait déjà la plasticité du cerveau chez les musiciens en bonne santé, à savoir la capacité de créer de nouvelles connexions neuronales et de les réorganiser. Ce qui est nouveau, c’est de la découvrir chez des sujets présentant des lésions ou atteints de maladies neurodégénératives. Bien entendu, l’impact de la musique sur le cerveau et sur le fonctionnement cognitif ne se limite pas aux malades. Le frisson musical, l’effet des émotions musicales sur le cerveau, est provoqué par la sécrétion de dopamine dans le circuit de la récompense. Le système dopaminergique sous-tend le plaisir si particulier que procure la beauté musicale. Ce qui rend la musique unique, d’après les recherches, c’est qu’elle active simultanément des régions réparties dans tout le cerveau, donc un plaisir intense qui s’accompagne de transformations physiologiques.

Je vais transférer ici le résumé d'un numéro de Cerveau & Psycho qui parle de l’importance des expériences esthétiques pour la santé de notre cerveau (ce résumé a fait l’objet d’une note publiée en mai dernier sur le blog elargissement-ro.hautetfort.com, où aujourd'hui vous pouvez trouver des références au voyage aux Etats-Unis 2021 – note, Album Photos).

De façon générale, dans un monde où nos ressources attentionnelles sont souvent dépassées par des activités multitâches, des rythmes de vie trop élevés ou un recours trop important aux écrans, notre sensibilité à la beauté risque de s’émousser voire de disparaître. Nous faisons peut-être rarement une expérience esthétique, car cela demande une certaine disponibilité d’esprit, à savoir des ressources cognitives, notre cerveau ayant besoin de place pour traiter les stimuli esthétiques.

Plus la charge cognitive est importante (réviser, consulter le téléphone, regarder les infos etc.), moins il reste de ressources cognitives disponibles, et moins nous faisons des expériences esthétiques (que nous sommes moins capables d’apprécier). Etre sensible à la beauté est un travail pour notre cerveau, et il faut pour cela lui donner les moyens de le faire. Parfois, la dose de beauté à absorber est trop forte, et le cerveau craque : c’est le syndrome de Stendhal dont sont victimes nombre de touristes japonais visitant le Louvre, et qui font des malaises en voulant ingurgiter trop de merveilles picturales ou structurales en une seule fois.

Parmi les expériences esthétiques, la musique a le pouvoir de modifier l’anatomie et le fonctionnement du cerveau humain, d’une façon qui bénéficie à de nombreuses aptitudes cognitives et socio-affectives. Elle active un vaste réseau cérébral impliquant des structures perceptives, cognitives, motrices et émotionnelles et entraîne la libération de diverses substances, comme la dopamine ou l’ocytocine. Elle a alors de multiples effets positifs, tant sur l’humeur que sur la vie sociale ou les performances sportives. Elle est même utilisée pour stimuler la créativité lors de sessions de groupe en entreprise. Il n’est pas nécessaire d’être un professionnel. La simple écoute musicale allume dans notre cerveau une véritable symphonie neuronale, qui entraîne de multiples retombées positives, et il n’y a que 5% des gens qui n’éprouvent aucun plaisir à écouter -des anhédoniques musicaux

Pour l’immense majorité d’entre nous, la musique est un moyen privilégié pour moduler nos émotions, et cela dès la naissance. L’écoute, et plus encore la pratique musicale, stimule le cerveau au-delà du cortex auditif. Elle engage de nombreuses régions impliquées dans l’action, les émotions et l’intellect, qui interagissent pour établir un cercle vertueux cognition-action-émotion. Le son musical chemine d’abord de l’oreille interne jusqu'au tronc cérébral, via les fibres du nerf auditif, puis se dirige vers le lobe temporal, où le cortex auditif primaire (le gyrus de Heschl) est localisé. C’est là que sont réalisées les premières étapes de traitement et d’encodage. L’information est ensuite transférée vers le cortex auditif secondaire et les cortex associatifs, puis vers le cortex préfrontal, qui s’occupe des caractéristiques plus complexes (contour mélodique, intervalle de hauteurs, etc.). Il existe également des connexions entre le cortex auditif et ce que l’on appelle le système de la récompense (incluant plusieurs régions du système limbique), qui crée les réponses émotionnelles à la musique et produit des substances associées au plaisir, comme la dopamine. Lorsque nous expérimentons un moment musical très plaisant, les interactions entre ces régions s’accroissent, les faisceaux qui les relient étant d’autant plus épais que l’on est passionné par la musique et que l’on passe du temps à en écouter.

Le cortex auditif entretient également des connexions privilégiées avec plusieurs régions motrices du cerveau, comme le cortex moteur ou les ganglions de la base et le cervelet. Ce couplage est important pour la synchronisation sensorimotrice, lorsqu'on joue de la musique ou lorsqu'on danse, mais aussi pour la perception des séquences motrices même lorsque aucun mouvement n’est demandé aux auditeurs. Il permet de mieux traiter le rythme et aide à prédire ce qui va suivre -développant des attentes temporelles. Outre son rôle dans la perception de la musique, cette interconnexion des réseaux audio et moteurs pourrait avoir un intérêt thérapeutique : certaines recherches visent à l’exploiter pour aider les patients atteints de la maladie de Parkinson, en diffusant des séquences de sons réguliers pour déclencher ou stabiliser la motricité.

Enfin, la perception et la mémoire musicale activent d’autres structures corticales, dans le lobe occipital (qui joue un rôle dans l’imagerie mentale et les potentielles associations visuelles évoquées par la musique) et le lobe pariétal. Ce dernier intervient dans certaines opérations cognitives, comme le traitement de certaines structures musicales complexes ou inattendues. 

La musique est utilisée dans la prise en charge de la douleur, car dans le cerveau, les deux mécanismes, émotionnel et cognitif, modulent les réactions du système de la douleur. En contrecarrant les émotions négatives qui sont liées à la douleur, par les ressentis positifs qu’elle inspire, elle détourne l’attention de la souffrance physique. Le pouvoir de la musique s’exerce aussi dans bien des situations de la vie quotidienne, souvent à notre insu. La musique peut provoquer aussi un rajeunissement cognitif. Avec l’avancée en âge, on constate une diminution de la flexibilité cognitive - l’aptitude du cerveau à enchaîner des tâches différentes et à traiter des informations contredisant nos connaissances. Les recherches montrent que débuter la pratique d’un instrument (cinq heures /semaine) améliore cette capacité dès le quatrième mois.

Donc, la musique est un moyen privilégié pour moduler le fonctionnement de son cerveau sur bien des aspects. Elle n’est sans doute pas le remède absolu à tous nos maux, mais elle présente des atouts manifestes pour accompagner les défis psychologiques que nous devons relever tout au long de notre vie.