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01/01/2024

La littérature, toujours...(II)

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(Photo- Poinsettia Noël 2023)

Bonne Année 2024!

 

Commençons l'année avec quelques beaux textes de Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, une superbe méditation sur la création, la solitude, l’amour, l’accomplissement de l’être. L’auteur n’avait que vingt-sept ans, et, en ce début du XIX e, contemporain de Nietzsche et de Lou Andreas-Salomé, il se cherche, en réfléchissant à des questions qui resteront cruciales jusqu'à la fin de sa vie. Relus 120 ans après, à l’ère des neurosciences cognitives et de la gestion des émotions, ces textes nous rappellent que « vivre, c’est se métamorphoser », ou que « les relations humaines, qui sont un concentré de vie, sont ce qu’il y a de plus instable », car « elles montent et descendent minute par minute », et que « dans le contact entre ceux qui s’aiment pas un instant ne ressemble à un autre ». Et aussi qu’il n’y a pratiquement « rien de plus difficile que de s’aimer soi-même. C’est là un travail, un labeur quotidien. »

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01/09/2023

La philosophie est une activité

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(Photo- Nice. Le soir sur la plage) 

« Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire ! » écrivait Diderot il y a trois siècles.

« La philosophie n’est pas une doctrine mais une activité » écrivait Ludwig Wittgenstein au siècle dernier.

Le livre d’André Comte-Sponville "Le plaisir de PENSER"  encourage tous ceux qui souhaitent pratiquer cette activité, à savoir penser par soi-même, car c’est bien cela philosopher. Il faut d’abord s’appuyer sur la pensée des autres, spécialement des grands philosophes du passé. La philosophie est une aventure mais aussi un travail qui nécessite de l’effort, des lectures, des outils. « Vingt siècles de philosophie font un trésor inépuisable. » Le livre rassemble six cents citations des plus brillants esprits de la pensée occidentale et regroupe douze thématiques majeures: la morale, la politique, l’amour, la mort, la connaissance, la liberté, Dieu, l’athéisme, l’art, le temps, l’homme, la sagesse. Une introduction à la philosophie qui intéressera tous ceux qui veulent « penser mieux pour vivre mieux », et pour cela, il n’y a pas d’âge. Certes, écrit l’auteur, on peut raisonner sans philosopher (par exemple dans les sciences), on peut vivre sans philosopher (par exemple dans la bêtise ou la passion). Mais on ne peut penser sa vie et vivre sa pensée du mieux qu’on peut - puisque c’est la philosophie même. 

 

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01/02/2023

Lire Spinoza, une forme de thérapie

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(Photo- L'hiver, ailleurs)

Le mal est une absence de bien (privatio boni). C’est ce que dit Thomas d'Aquin, philosophe et théologien, l’un des pionniers de la Scolastique au 13 e siècle, Docteur de l’Eglise, le plus saint des savants et le plus savant des saints. Thomas d'Aquin occupe un chapitre dans mon travail de Thèse sur la pensée et la littérature du Moyen Âge, et, des années plus tard, quand mon intérêt allait s'élargir au domaine des émotions et des neurosciences, sa formule concise privatio boni, comme définition du mal, m'est apparue sous un autre éclairage. Par exemple, à propos de l’absence de joie, même dans les moindres aspects de la vie (ce que l’on appelle anhédonie ou perte de la capacité à éprouver du plaisir - symptôme central de la dépression majeure et de certains troubles neuropsychiatriques).

Mais plus concrètement, comment faire quand on se trouve confronté au mal absolu, c'est-à-dire à la mort, violente et soudaine, d’un être cher ? En général, il existe deux solutions censées apporter un peu de consolation : la religion (la foi) et la philosophie (la raison). C’est pourquoi, depuis novembre dernier, je me suis plongée dans la lecture de mon philosophe-thérapeute, Spinoza, qui m'avait déjà aidée en 2003, dans un moment difficile. 

Ceux qui connaissent Spinoza savent qu’il était loin d’être athée (bien qu’il fût excommunié), et qu’il a créé peut-être le plus cohérent des systèmes philosophiques, où la Raison et la Joie occupent une place fondamentale: Deus sive Natura. Il explique, dans son Traité de la réforme de l’entendement, le but de sa recherche : "Je résolus de chercher s’il existait quelque objet qui fût un bien véritable, capable de se communiquer, et par quoi l’âme, renonçant à tout autre, pût être affectée uniquement, un bien dont la découverte et la possession eussent pour fruit une éternité de joie continue et souveraine". Ce Bien suprême est Dieu, mais c'est le Dieu de Spinoza. 

Cette fois-ci, j'ai choisi le Traité théologico-politique. J’ai résumé quelques idées dans ce document PDF.  

 

Références 

Spinoza, Œuvres II. Traité Théologico-politique, GF-Flammarion, 1965

01/04/2022

Nous vivons dans une réalité commune

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(Photo- A Paris Mountain State Park, Greenville SC, novembre 2021)

Dans une conférence TED en avril 2017, Michael Patrick Lynch, professeur de philosophie à l’Université de Connecticut et directeur de l’Université de Sciences humaines de Connecticut, connu pour sa théorie pluraliste de la vérité, parle de la polarisation du savoir. Il ne s’agit pas d’un problème d’ordre technologique, explique-t-il, mais d’un problème humain, qui relève de notre façon de penser et de notre système de valeurs. 

Vous trouverez cette vidéo en ligne. J’aimerais rappeler son argumentaire en ces jours où, après une pandémie de deux ans qui a polarisé les esprits, nous sommes confrontés à une guerre aux portes de l’Europe, à l’invasion de l’Ukraine, Etat indépendant, par la Russie. Une guerre qui, malgré les villes bombardées, les milliers de morts, les millions de réfugiés en Europe en l’espace de trois semaines, polarise quand même les esprits. Et ce n’est pas qu’une question de propagande.

L'auteur explique pourquoi la présence d'une puce dans notre cerveau qui nous permettrait de transférer et télécharger depuis internet à la vitesse de la pensée, c’est-à-dire qui nous permettrait un accès rapide à l'information, ne nous rendra pas pour autant plus aptes à évaluer cette information. Au contraire, nous aurions besoin de plus de temps pour l’évaluer et distinguer le vrai du faux. Nous savons davantage mais nous comprenons moins. Nous vivons dans des bulles isolées, nous sommes polarisés, par rapport aux faits et par rapports à nos valeurs. En plus, la plupart des informations que nous recevons sont personnalisées, ce qui finit par gonfler nos bulles plutôt que de les faire éclater.

Une tactique est d’essayer de corriger notre technologie afin de rendre nos plateformes digitales moins sujettes à la polarisation, et c’est sur quoi Google et Facebook travaillent déjà. Mais le problème technologique ne résoudra pas la polarisation du savoir. Nous avons besoin de l’aide de la psychologie et de la philosophie, de la science politique aussi, afin de nous reconnecter à une idée fondamentale, celle que nous vivons dans une réalité commune. Et pour cela nous devons faire trois choses.

Premièrement, nous devons croire en la vérité. Mais nous avons des biais, et notre propre point de vue. La question de la vérité est déjà un sujet philosophique en soi (Protagoras disait que l’homme est la mesure de toute chose, c’est-à-dire que chacun peut créer sa propre vérité). Bien qu’en pratique nous soyons d’accord sur toutes sortes de faits, nous sommes aussi sceptiques au sujet de la vérité, car cela nous permet de rationaliser nos propres biais, ce que illustre bien le phénomène des fake news.

Ce qui est dangereux avec le scepticisme est qu’il mène au despotisme. Dans « 1984 » d’Orwell, le policier de la pensée O’Brian torture le personnage Winston Smith pour lui faite admettre que deux et deux font cinq. Il veut convaincre Smith que tout ce que dit le parti est la vérité, et la vérité est tout ce que le parti dit. Ce que O’Brian sait est qu’une fois que cette vérité est acceptée, la critique dissidente devient impossible. Vous ne pouvez dire la vérité au pouvoir si le pouvoir dit la vérité par définition.

Deuxièmement, nous devons avoir le courage de savoir, de nous servir de notre propre entendement. Sapere aude (Aie le courage de savoir), la phrase qu’a utilisée Kant comme devise des Lumières. Il est vrai que Google représente un outil formidable, une forme d’externalisation intellectuelle. [La mémoire transactive est un système partagé permettant d’encoder, de stocker et de partager de manière sélective les informations nécessaires à la réalisation d’un travail commun, Wegner, Erber & Raymond, 1991]. Mais il y a une différence entre télécharger une série de faits et comprendre comment ou pourquoi les faits sont ainsi. Cela nécessite de réaliser un travail sur soi-même, d’être créatif, d’utiliser son imagination, d’aller sur le terrain, d’expérimenter, de tirer des preuves, de parler à quelqu'un, ce qui signifie encourager des formes de savoir plus actives au lieu de limiter nos efforts à notre bulle. 

Troisièmement, nous devons avoir un peu d’humilité, une humilité épistémique, c’est-à-dire savoir que nous ne savons pas tout, et aussi que notre vision du monde est ouverte au progrès à travers les épreuves et les expériences des autres. Le fait de considérer que notre propre savoir peut être enrichi et approfondi par ce que les autres y apportent est bien plus qu’être ouvert au changement ou au développement personnel. Car nous partageons une réalité commune dont nous sommes tous responsables. Notre société n’est pas trop douée pour faire progresser ou encourager cette forme d’humilité. Nous avons tendance à confondre arrogance et confiance, l’arrogance étant plus facile, mais c’est un autre exemple de mauvaise foi envers la vérité. 

Le concept d’une réalité commune est un concept philosophique important. Les démocraties ne peuvent fonctionner si les citoyens n’aspirent pas, au moins parfois, à occuper un espace commun, où ils peuvent s’échanger des idées quand ils ne sont pas d’accord. Mais nous ne pouvons pas aspirer à occuper cet espace si nous n’acceptons pas d’abord que nous vivons dans la même réalité.

Parce que l’auteur rappelle dans sa conférence l’ouvrage d’Orwell, voici plus loin quelques extraits que j’ai choisis dans l’exemplaire de 1984 qui ne peut être absent de ma bibliothèque. Ce monde-là, je le connais et je m’en souviens aujourd'hui, grâce à Monsieur Poutine.

C’est O’Brian qui parle, le policier de la pensée.

 Tel est le monde que nous préparons, Winston. Un monde où les victoires succéderont aux victoires et les triomphes aux triomphes; un monde d’éternelle pression, toujours renouvelée, sur la fibre de la puissance. Vous commencez, je le vois, à réaliser ce que sera ce monde, mais à la fin, vous ferez plus que le comprendre. Vous l’accepterez, vous l’accueillerez avec joie, vous en demanderez une part. (…) Nous commandons à la vie, Winston. A tous les niveaux. Vous vous imaginez qu’il y a quelque chose qui s’appelle la nature humaine qui sera outragé par ce que nous faisons et se retournera contre nous. Mais nous créons la nature humaine. L’homme est infiniment malléable. Peut-être revenez-vous à votre ancienne idée que les prolétaires ou les esclaves se soulèveront et nous renverseront ? Otez-vous cela de l’esprit. Ils sont aussi impuissants que des animaux. L’humanité, c’est le Parti. Les autres sont extérieurs, en dehors de la question. 

(...) Il ne pouvait lutter plus longtemps contre le Parti. En outre, le Parti avait raison. Il devait en être ainsi. Comment pouvait se tromper un cerveau immortel et collectif ? D'après quel modèle extérieur pourrait-on vérifier ses jugements ? La santé était du domaine des statistiques. Apprendre à penser comme ils pensaient était simplement une question d’étude. Mais !...Entre ses doigts le crayon était épais, peu maniable. Il se mit à écrire les idées qui lui passaient par la tête. Il écrivit d’abord, en grandes majuscules mal faites :

 LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE

 Puis, presque sans s’arrêter, il écrivit en dessous :

 DEUX ET DEUX FONT CINQ »

 (George Orwell, 1984, Editions Gallimard, 1950)

 

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 La mémoire (2)